Quant au très-estimable et très-brillant petit-neveu[1] du ministre plus grand que juste de Louis le Juste, je vous félicite tous deux de ce qu’il vient oublier avec vous les tracasseries de la cour et de l’armée. Je ne puis pas me vanter à vous de recevoir de ses lettres, comme vous vous vantez de jouir des charmes de sa conversation ; il m’a abandonné : c’est depuis qu’il est allé guerroyer chez les Cimbres. Il m’avait donné rendez-vous à Strasbourg ; mais précisément dans ce temps-là une des cuisses de ma nièce s’avisa de devenir aussi grosse que son corps. Elle avait déjà été à la mort de cette maladie : c’était une suite de la belle peur que le roi de Prusse lui avait faite à Francfort. Si tous ceux à qui il fait peur avaient la cuisse enflée, il faudrait élargir bien des chausses. Je ne sais si M. le maréchal de Richelieu m’a trouvé un oncle trop tendre de ne lui pas sacrifier une cuisse pour le voyage de Strasbourg ; mais, depuis ce temps-là, il a eu la barbarie de ne me plus écrire.
Je me suis dépiqué avec le roi de Prusse, qui est beaucoup plus régulier que lui ; mais je sens cependant que je ferais plus volontiers un voyage pour revoir mon héros français que mon héros prussien.
Je voudrais bien, madame, me trouver entre vous deux ; ma destinée ne le veut pas : elle m’a fait Suisse et jardinier. Je m’accommode très-bien de ces deux qualités. Heureux qui sait vivre dans la retraite ! Cela n’est pas aisé aux grands de ce monde, mais cela est très-facile pour les petits.
Je me trouve fort bien, et je suis toujours, madame, votre très-fidèle Suisse.
Vous êtes un charmant correspondant, monsieur, un homme bien attentif, un ami dont je connais tout le prix ; vous devez n’avoir pas un moment à vous, et vous en trouvez pour m’écrire ! Paris ne vous a point gâté, et ne vous gâtera point[3].
Si par hasard vous avez quelque occasion de voir M. l’abbé de Bernis, vous êtes bien homme à lui dire qu’il a en moi le plus