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CORRESPONDANCE.
3577. — À M. DE MONTPÉROUX[1],
résident de france à genève[2].
Lausanne, 7 mars.

Puisque vous ne pouvez point, monsieur, venir voir représenter Fanime, et que vous vous en tenez à Patipaille, avec la vénérable compagnie, avouez du moins que je jouis de la vie à Lausanne ; daignez le certifier à qui il appartiendra. Ajoutez à vos bontés que je fais ma demeure ordinaire tout près de vous, aux Délices, route de Lyon à Genève. Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien avoir la bonté de donner ce certificat à M. Cathala, qui l’enverra sur-le-champ à mon notaire. Car


Omne tulit punctum, qui miscuit utile dulci.

(Hor., de Art. poet., v. 343.)

En vérité, vous auriez omne punctum, si vous étiez témoin de la manière dont nous jouons Fanime.

Je perds dans le cardinal de Tencin un très-bon ami que je m’étais fait depuis quelques mois. Les choses n’avaient pas toujours été ainsi. On dit que c’est un signe mortel quand les vieillards changent de caractère. Son Éminence ne l’a pas porté loin[3]. Dieu veuille avoir son âme ! C’était un terrible mécréant, sicut sunt omnce hujus farinæ homines[4]. Je vous montrerai des choses singulières quand je pourrai avoir l’honneur de dîner avec vous à mes petites Délices.

Ou va donc s’égorger plus que jamais en Germanie ! Pendant ce temps-là, nous jouons la comédie ; on la joue à Neufchâtel, et on m’attendait à Nyon pour me donner Mérope. Il n’y a plus de plaisir[5] qu’en Suisse ; mais le plaisir le plus flatteur est de vivre avec vous, monsieur ; et c’est ainsi que pensent vos deux attachés.


Voltaire et Denis.
  1. Cette lettre, qui se trouve dans Beuchot, a été réimprimée dans le Dernier Volume des Œuvres de Voltaire, 1862, d’après l’autographe alors en possession de M. Sohier, de Mantes.
  2. Le baron de Montpéroux, comme l’appelle l’Almanach royal de 1761 à 1763, remplissait les fonctions de résident de France à Genève depuis 1750. — Mort vers le commencement de septembre 1765, Montpéroux fut remplacé a Genève par Hennin.
  3. Dans Beuchot : porte plus loin.
  4. Rabelais, Ancien prologue du IVe livre, 7e alinéa ; Gargantua, livre Ier, chapitre xiv, dernier alinéa ; Pantagruel, liv. III, chap. xxv, 1er alinéa.
  5. Dans Beuchot : Il n’y a de plaisir.