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CORRESPONDANCE.

ose prêcher devant le roi contre la raison imprimée une fois avec privilège ; il ne faut donc pas soufrir que l’auteur de la Gazette dise dans les Affiches de province que les précepteurs de la nation veulent anéantir la religion et corrompre les mœurs ; il ne faut donc pas souffrir qu’un écrivain mercenaire débite impunément le libelle des Cacouacs.

Ces deux misérables[1] dépendent des bureaux du ministère ; mais sûrement ce n’est pas M. l’abbé de Bernis qui les encourage, ce n’est pas Mme de Pompadour.

Je suis persuadé, au contraire, que Mme de Pompadour obtiendrait une pension pour M. Diderot : elle y mettrait sa gloire, et j’ose croire que cela ne serait pas bien difficile.

C’est à quoi il faudrait s’occuper pendant six mois. Que M. Diderot, M. d’Alembert, M. de Jaucourt, et l’auteur de l’excellent article de la Génération[2], déclarent qu’ils ne travailleront plus, si on ne leur rend justice, si on leur donne des réviseurs malintentionnés ; et je vois évidemment que la voix du public, qui est la plus puissante des protections, mettra ceux qui enseignent la nation sur le trône des lettres où ils doivent être. Alors M. d’Alembert devra travailler plus que jamais ; alors il travaillera ; mais il faut avoir et la sagesse d’être tous unis, et le courage de persister quelques mois à déclarer qu’on ne veut point travailler sub gladio. Ce n’est pas certainement un grand mal de faire attendre le public ; c’est au contraire un très-grand bien. On amasse pendant ce temps-là des matériaux, on grave des planches, on se ménage des protections, et ensuite on donne un huitième volume dans lequel on n’insère plus les plates déclamations et les trivialités dont les précédents ont été infectés ; on met à la tête de ce volume une préface dans laquelle on écrase les détracteurs avec cette noblesse et cet air de supériorité dont Hercule écrase un monstre dans un tableau de Lebrun.

En un mot, je demande instamment qu’on soit uni, qu’on paraisse renoncer à tout, qu’on s’assure protection et liberté, qu’on se donne tout le public pour associé, en lui faisant craindre de voir tomber un ouvrage nécessaire.

Tout le malheur vient de ce que M. Diderot n’a pas fait d’abord la même déclaration que M. d’Alembert. Il en est encore

  1. Querlon et Moreau.
  2. Albert de Haller, savant presque universel, né à Berne en 1708, mort le 12 décembre 1777. Il a été injuste envers Voltaire qui a fini par l’être envers lui ; voyez la lettre 2300.