Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/42

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3159. — À M. BORDES[1].
Aux Délices, avril.

Soyez bien sûr, monsieur, que votre lettre me fait plus de plaisir que tout ce que vous auriez pu m’envoyer d’Italie, soit opéra, soit agnus Dei. Nous sommes très-fâchés, Mme Denis et moi, que vous n’ayez pas pu prendre votre route par Genève. Après avoir vu des palais et des cascades, et après avoir entendu des Miserere à quatre chœurs, vous auriez vu, dans une retraite paisible, deux espèces de philosophes pénétrés de votre mérite. J’ai eu longtemps un extrême désir de faire le voyage dont vous revenez ; mais à présent je n’ai plus d’autre passion que celle de rester tranquille chez moi, et d’y pouvoir recevoir des hommes comme vous. Je fais bien plus de cas d’un être pensant que de Saint-Pierre de rome ; et ce n’est pas trop la peine, à mon âge, d’aller dans un pays où il faut demander la permission de penser à un dominicain.

M. l’abbé Pernetti[2] m’a mandé qu’il fallait deux vers pour l’inscription de votre salle de spectacle, et qu’il ne fallait que deux vers. La langue française, qui, par malheur, est très-ingrate pour le style lapidaire, rend cette besogne assez malaisée. Quatre vers en ce genre sont plus aisés à faire que deux. Cependant je vous prie de dire à M. l’abbé Pernetti que j’essayerai de lui obéir et de lui plaire. J’ai encore heureusement du temps devant moi ; on dit que votre salle ne sera prête que pour l’automne. Je me flatte qu’avant ce temps-là il faudra faire des inscriptions pour la statue de M. le maréchal de Richelieu, à Minorque.

Adieu, monsieur ; conservez-moi une amitié dont je sens vivement tout le prix.


3160. — DE M. LE DUC DE LA VALLIÈRE[3].
À Versailles, ce 22 avril 1756.

Je vais répondre avec le plus grand plaisir du monde, mon cher Voltaire, à toutes les questions que vous me faites : commençons par le moins intéressant, et le plus aisé. J’habite toujours Montrouge ; je suis comme Proserpine, juste le moitié de ma vie à Versailles, l’autre moitié dans ma

  1. Ch. Bordes, auquel est adressé la lettre 2661.
  2. Nous ne connaissons jusqu’à présent aucune lettre de Voltaire à Jacques Pernetti, antérieure à celle du 22 auguste 1760 (Cl.)
  3. Mémoires sur Voltaire, etc., par Longchamp et Wagnière, 1826.