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mais comme ce jardin est pour moi, j’ai été mon jardinier, et je m’en trouve très-bien. Vous en jugerez, s’il vous plaît. J’aurais tout aussi bien été mon tailleur, et je voudrais que vous pussiez en juger. Toutes ces dépenses réitérées ruinent quand on a acheté, réparé, raccommodé, meublé une maison spacieuse, et qu’on l’embellit ; mais il ne faut pas y prendre garde : il ne faut songer qu’à la bonté que vous avez d’entrer dans ces misères.

Je ne crois pas que l’abbé de Prades[1] soit à Breslau, et je crois encore moins qu’on le fouette avec un écriteau au dos[2] : car, s’il avait au dos cette belle devise, ce serait sur l’écriteau qu’on frapperait. Peut-être le fouette-t-on sur le cul ; mais cela est sujet à des inconvénients. Les théologiens disent que cette façon peut occasionner ce qu’ils appellent des pollutions. Je crois encore moins qu’on ait exigé à Paris des cartons pour l’article Genève ; la cour se soucie peu de nos hérétiques, et d’ailleurs il n’est pas possible d’aller proposer un carton à tous les souscripteurs qui ont reçu le livre. Il n’y a pas quatre lecteurs qui l’achètent sans avoir souscrit.

Je ne crois pas non plus que M. le maréchal de Richelieu soit disgracié : il n’a point perdu la bataille de Rosbach ; il a passé l’Aller, il a fait reculer les Hanovriens, il a fait de son mieux. On ne doit punir que la mauvaise volonté, et le roi est toujours juste.

Je ne crois point encore qu’il faille vingt ans pour détromper le public sur une très-mauvaise pièce[3] ; mais je crois fermement que le public d’aujourd’hui ne vaut pas la peine qu’on travaille pour lui, en quelque genre que ce puisse être.

Voilà, ma chère nièce, tout ce que je crois, et tout ce que je ne crois pas. Je vous ai ouvert le fond de mon cœur. Si vous avez quelque chose à croire dans ce monde, croyez que ce cœur est à vous. Vous ne me dites point si vous continuez à vous frotter circulairement avec de l’arthanite[4] ; si vous mangez, si vous digérez, si vous êtes agréablement logée. Il faut, s’il vous plaît, que vous m’instruisiez de votre manière d’exister, car mon être s’intéresse tendrement au vôtre.

Savez-vous si c’est à Paris qu’on élève le prince de Parme[5],

  1. Voyez page 420.
  2. Voyez lettre 3555.
  3. Allusion sévère à l’Iphigénie en Tauride.
  4. L’arthanite est le nom ancien du cyclamen europœum, L., que les Français appellent vulgairement pain de pourceau. (Note de M. de Cayrol.)
  5. Ferdinand, né en 1751, duc de Parme en 1765, dépossédé par la Révolution, mort en 1802, père de Louis, roi d’Étrurie, mort en 1803.