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Schweidnitz n’est pas pris[1] ; mais j’ai toujours grand’peur que M. de Richelieu ne se trouve entre les Hanovriens et les Prussiens. On se moque de tout cela dans votre Paris, et pourvu que les rentes de l’Hôtel de Ville soient payées, et qu’on ait quelques spectacles, on se soucie fort peu que les armées périssent. La chose peut pourtant devenir sérieuse, et vos sybarites peuvent un jour gémir.

Pour moi, mon cher ange, qui ne m’occupe que des siècles passés, je ne crois pas devoir cette année m’exposer au refus de la médaille[2]. Qui diable a imaginé cette médaille ? On ne l’aurait pas donnée à l’auteur de Britannicus, qui n’eut que cinq représentations, et on l’aurait donnée à l’auteur de Règulus[3] ! Fi donc ! il n’y a de médailles que celles que la postérité donne. Il faut un ami comme vous pour le temps présent, et de beaux vers pour l’avenir ; mais je suis plus sensible à votre amitié qu’aux vains applaudissements de quelques connaisseurs obscurs, qui pourront dire dans cent ans : Vraiment ce drôle-là avait quelques talents.

Mille respects à Mme d’Argental et à tout ange.


3536. — À M. GROSLEY[4].
Lausanne, 22 janvier.

Je ne reçus qu’hier, monsieur, les deux dissertations dont vous avez bien voulu m’honorer. Je les ai lues avec beaucoup de plaisir, et je ne perds pas un moment pour vous en faire mes remerciements. Je vois que non-seulement vous avez beaucoup lu, mais que vous avez bien lu, et que vous réfléchissez encore mieux. Je crois comme vous, monsieur, que l’abbé de Saint-Réal (homme qu’il ne faut pas regarder comme un historien) a fait un roman de la conspiration de Venise ; mais on ne peut douter que le fond ne soit vrai. Le procurateur Nani le dit positivement ; et je me souviens que l’abbé Conti, noble vénitien très-instruit, et qui est mort[5] dans une extrême vieillesse, regardait la conspiratlon du marquis de Bedmar comme une chose

  1. Voyez page 305.
  2. Louis XV venait d’ordonner que les auteurs dont les pièces auraient eu un grand succès au thèâtre, pour la première fois lui seraient présentés ; pour la seconde, auraient une médaille ; pour la troisième, obtiendraient une pension.
  3. Cette tragédie de Pradon (1688) eut vingt-sept représentations de suite.
  4. Pierre-Jean Grosley, né à Troyes en 1718, mort le 4 novembre 1785.
  5. En 1749.