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tripot de Lausanne. M. d’Alembert conseille à messieurs de Genève d’avoir dans leur ville une troupe de comédiens de bonnes mœurs : c’est ce que nous nous flattons d’être à Lausanne. Ma nièce et moi, nous avons de très-bonnes mœurs dont j’enrage ; mais il faut bien à mon âge avoir ce petit mérite. Nous avons une fille[1] du général Constant, et une belle-fille de ce fameux marquis de Langalerie[2], qui ont aussi les meilleures mœurs du monde, quoiqu’elles soient assez belles pour en avoir de très-mauvaises. Enfin notre troupe est fort édifiante, et, de plus, elle est quelquefois fort bonne. On ne peut guère passer plus doucement sa vie, loin des horreurs de la guerre et des tracasseries littéraires de Paris. Ah ! mon ami, que les grosses gelinottes sont bonnes, mais qu’elles sont difficiles à digérer ! mon cuisiner et mon apothicaire me tuent. Adieu, je suis fâché de ne vous point revoir.


3535. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Lausanne, 22 janvier.

J’ai reçu votre lettre du 13, mon cher et respectable ami, mais rien de M. de Choiseul[3]. J’ai présumé, par ce que vous me dites, qu’il s’agissait d’obtenir un congé pour monsieur son fils blessé et prisonnier. Je doute fort que le roi de Prusse voulût, à ma chétive recommandation, s’écarter des idées qu’il s’est prescrites, et je suis d’autant moins à portée de lui demander une pareille grâce pour M. de Choiseul, que je lui écrivis[4], il y a huit jours, en faveur d’un Genevois qui est dans le même cas, et qui probablement restera estropié à Mersbourg.

Mais le roi de Prusse a une sœur qui doit avoir quelque crédit auprès de lui, et à qui je puis tout demander. Je lui ai écrit de la manière la plus pressante, et je lui ai recommandé M. le marquis de Choiseul comme je le dois. Ne doutez pas qu’elle n’en écrive au roi son frère : il ne doit lui rien refuser. Je crois que le roi de Prusse peut s’amuser actuellement à faire des grâces ; il n’y a pas moyen de se battre avec six pieds de neige ; aussi

  1. Voltaire veut désigner Mme Constant d’Hermenches, née de Seigneux, de laquelle il reparle dans la lettre 3563, et qui était belle-fille du général Constant (voyez page 56.)
  2. La marquise de Gentil, née Constant.
  3. Le comte de Choiseul, à qui est adressée la lettre 2424. — Son fils, Renaud-César-Louis, connu sous le titre de vicomte de Choiseul, avait été nommé guidon de gendarmerie en mars 1749, à l’âge de quinze ans.
  4. Cette lettre manque, ainsi que celle de Voltaire à la margrave de Baireuth.