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rable, que j’évite avec soin tout ce qui pourrait entraîner quelque discussion.

Je fais des vœux, en qualité de bon Français et de serviteur de M. le maréchal de Richelieu, pour qu’il arrive dans l’île de Minorque avant les Anglais ; et je crois qu’on a beau jeu quand on part de Toulon, et qu’on joue contre des gens qui ne sont pas encore partis de Portsmouth. J’oserais bien penser comme vous, monseigneur, sur Calais ; mais vous avez probablement à la cour quelque Annibal qui croit qu’on ne peut vaincre les Romains que dans Rome#1.

Pardonnez, monseigneur, à un pauvre malade qui peut à peine écrire, et qui vous assure de son tendre respect et de son entier dévouement.


3156. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Aux Délices, 16 avril.

C’est un trait digne de mon héros de daigner songer à son vieux petit Suisse, quand il s’en va prendre ce Port-Mahon. Savez-vous bien, monseigneur, que l’île de Minorque s’appelait autrefois l’île d’Aphrodise, et qu’Aphrodise, en grec, c’est Vénus ? Je me flatte que vous donnerez pour le mot : Venus victrix ; cela vous siéra à merveille. Ce mot-là ne réussit pas mal à un de vos devanciers, qui eut aussi affaire en son temps aux Anglais et aux dames#2.

Je ne conçois pas comment les Anglais pourraient s’opposer à votre expédition. Ils ont quatre cent cinquante lieues à traverser avant d’être dans la mer de vos îles Baléares ; et quand même ils arriveraient à temps, auront-ils assez de troupes ? Vous n’avez pas cent lieues de traversée. Si le sud-ouest vous est contraire, ne l’est-il pas aussi aux Anglais ? Enfin j’ai la meilleure opinion du monde de votre entreprise. Il vient tous les jours des Anglais dans ma retraite. Ils me paraissent très-fachés d’avoir chez eux des Hanovriens, et ils ne croient pas qu’on puisse vous empêcber de prendre Port-Mahon, fussiez-vous quinze jours aux îles d’Hyères. Comme on peut avoir quelques moments de loisir sur le Foudroyant, dans le chemin, je prends la liberté grande#3 de [1][2][3]

  1. Annibal l’a prédit, croyons-en ce grand homme :
    On ne vaincra jamais les Romains que dans Rome.

    (Mithridate, acte III, sc. i.)

  2. Le cardinal de Richelieu, arrière-grand-oncle du maréchal.
  3. Mémoires du chevalier de Gramont, chap. iii.