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milieu de l’hiver. Je voudrais vous tenir dans cette maison délicieuse ; je n’en suis point sorti depuis que je suis à Lausanne. Je ne peux me lasser de la vue de vingt lieues de ce beau lac, de cent jardins, des campagnes de la Savoie, et des Alpes qui les couronnent dans le lointain ; mais il faudrait avoir un estomac, ma chère nièce : cela vaut mieux que l’aspect de Constantinople.

Si vous savez quelque chose du procès de M. d’Alembert avec les prédicants de Calvin, et de sa prétendue renonciation à l’Encyclopédie, je vous prie de m’en faire part.

Avez-vous lu la tragédie d’Iphigènie en Tauride ? L’auteur[1] me l’a envoyée, mais je ne l’ai pas encore reçue. Pour moi, je ne travaille plus que pour notre petit théâtre de Lausanne. Il vaut mieux se réjouir avec ses amis que de s’exposer à un public toujours dangereux. Je suis très-loin de regretter le parterre de Paris ; je ne regrette que vous. Mille compliments au grand écuyer de Cyrus[2].

Quoi qu’on en dise, on aurait eu grand besoin de nos chars contre la cavalerie de Luc[3]. Il voulait mourir il y a trois mois, et à présent le voilà au comble de la gloire. Il ne m’écrit plus ; les honneurs changent les mœurs. Adieu, ma chère enfant.


3521. — DE M. D’ALEMBERT.
Paris, 11 janvier.

Je reçois presque en même temps vos deux dernières lettres, mon très-cher et très-illustre philosophe, et je me hâte d’y répondre. J’ai reçu, il y a quelques jours, une lettre du docteur Tronchin[4], qui m’écrit au nom de vos ministres pour me porter leurs plaintes ; mais la manière dont ils se plaignent suffirait pour faire connaître la vérité de ce que j’ai dit, et l’embarras où ils sont. Ils prétendent que je les ai accusés de n’être pas chrétiens, et se taisent sur le reste. Ma réponse a été bien simple ; si M. Tronchin veut vous la communiquer, je me flatte que vous la trouverez raisonnable et mesurée. Je réponds donc à l’ambassadeur que je n’ai pas dit un mot, dans l’article Genève, qui puisse faire croire que les ministres de Genève ne sont pas chrétiens ; que j’ai dit, au contraire, qu’ils respectaient Jésus-Christ et les Écritures : ce qui suffit, selon leurs propres principes, pour être réputé chrétien. Du reste, comme M. Tronchin ne m’a dit mot ni sur le socinianisme, ni sur l’enfer, ni sur la divinité du Verbe, je ne lui réponds rien non

  1. Voyez les lettres 3373 et 3549.
  2. Le marquis de Florian. Voyez lettre 3363.
  3. Le roi de Prusse. Voyez lettre 3380.
  4. La lettre de Tronchin à d’Alembert a été imprimée dans les Œuvres posthumes de d’Alembert (1799, deux volumes in-12), tome I, page 415. La réponse de d’Alembert se trouve à la page 271 du tome II de la troisième édition des Lettres critiques d’un voyageur anglais (par Vernet), 1760, in-8o.