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3520. — À MADAME DE FONTAINE,
à paris.
À Lausanne, 10 janvier.

Si vous veniez, ma chère nièce, passer l’hiver à Lausanne, et l’été aux Délices, vous pourriez vous vanter d’être dans les deux plus belles situations de l’Europe, et vous auriez la comédie partout. Nous la jouons à Lausanne, nous la voyons auprès de Genève ; et si les prédicants en croient M. d’Alembert leur bon ami, ils l’auront bientôt dans leur ville : cela est plus honnête que d’aller s’égorger en Allemagne, comme font tant de gens, parce qu’ils n’ont pas mieux à faire. Si on était sensé, on ne songerait qu’à passer une vie douce.

Je crois votre santé à présent raffermie. Tronchin a commencé, le régime et l’exercice ont achevé l’ouvrage. Vous vous êtes fait un plan de vie agréable ; vous avez un fils qui fait votre consolation ; vous avez des amis, vous êtes libre[1], et enfin vous êtes aimable : vous devez être heureuse.

J’ai reçu une lettre de monsieur votre fils, dont je suis très-content. Il me paraît s’être formé en peu de temps ; voilà ce que c’est que d’avoir une mère qui est de bonne compagnie. Il m’apprend que vous avez chez vous M. de La Bletterie[2], qui veut bien quelquefois encourager ses études : il est trop heureux d’être à portée de recevoir des avis d’un homme de ce mérite.

Vous aurez, je crois, ma maigre effigie que vous demandez pour l’Académie et pour vous. Il y a dans Lausanne un peintre de passage, qui peint en pastel presque aussi bien que vous. Quelque répugnance que j’aie à faire crayonner ma vieille mine, il faut bien s’y résoudre, et être complaisant : c’est bien l’être que de jouer la comédie à mon âge, et de souffrir qu’on m’envoie de Paris des habits de Zamti et de Narbas[3]. C’est une fantaisie de votre sœur : elle en a bien d’autres qui deviennent les miennes. Elle fait ajuster la maison de Lausanne comme si elle était située sur le Palais-Royal. Il est vrai que la position en vaut la peine. La pointe du sérail de Constantinople n’a pas une plus belle vue ; je ne suis d’ailleurs incommodé que des mouches au

  1. Elle était veuve depuis 1756.
  2. Jean-Pliilippe-René de La Bletterie, né à Rennes en 1696 mort en 1772 ; Voltaire ne l’a pas ménagé en 1769 et 1769 ; voyez tome XXVIII, page 4 ; et, tome X, les Poésies mêlées.
  3. Personnages de l’Orphelin de la Chine et de Mérope.