Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il est vrai, monsieur le duc, que je me suis avisé, il y a quelques années, d’argumenter en vers sur la Religion naturelle avec le roi de Prusse. C’était tout juste immédiatement avant que lui et moi chétif nous fissions l’un et l’autre une petite brèche à cette religion naturelle, en nous fâchant très mal à propos. Mais il n’est pas rare à la nature humaine de voir le bien[1] et de faire le mal. On a imprimé à Paris ce petit ouvrage depuis quelque temps, mais entièrement défiguré, et on y a joint des fragments d’une jérémiade sur le Désastre de Lisbonne et d’un examen de cet axiome Tout est bien. Toutes ces rêveries viennent d’être recueillies à Genève ; on les a imprimées correctement avec des notes assez curieuses. Si cela peut amuser votre loisir, je donnerai le paquet à M. de Rhodon[2], qui sans doute trouvera des occasions de vous le faire tenir.

Puisque vous me parlez des péchés de ma jeunesse, je vous assure que vous n’avez point la véritable Jeanne. Celle qu’on a imprimée et celles qui courent en manuscrit ressemblent à toutes les filles qui prennent le beau nom de pucelles sans avoir l’honneur de l’être. Bien des gens à qui le sujet plaisait se sont avisés de remplir les lacunes. Je peux vous assurer que ce mot de Bien-Aimè[3] n’est pas dans mon original ; il n’est fait que pour le Cantiques des cantiques. Si mon âge, mes maladies, et mes occupations, me permettaient de revoir ces anciennes plaisanteries, qui ne sont plus pour moi de saison, et si le goût vous en demeurait, je me ferais un plaisir de mettre entre vos mains l’ouvrage tel que je l’ai fait ; mais ce n’est pas là une besogne de malade.

Quant à la foule de mes autres sottises, les frères Cramer en achèvent l’impression à Genève. Je n’en fais point les honneurs. Ils ont entrepris cette édition[4] à leurs risques et périls, et j’ai eu des raisons pour ne pas vouloir en garder plusieurs exemplaires en ma possession. Ma santé, d’ailleurs, est dans un état si déplo-

  1. Médée, dans le septième livre des Métamorphoses d’Ovide, dit :

    · · · · · · · · · · · · · · · Video meliora, proboque ;
    Deteriora sequor.

  2. Ce M. de Rhodon était sans doute un Genevois que Voltaire appelle le fier, et vaillant Rhodon, dans le chant II de la Guerre civile de Genève.
  3. Voltaire fait allusion à ces vers sur Louis XV, qui se lisaient dans quelques manuscrits de la Pucelle (chant XV) :

    · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Louis le quatorzième,
    Aieul d’un roi qu’on méprise et qu’on aime.

  4. Voyez la lettre 3144.