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3508. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
À Lausanne, où je serai tout l’hiver, 5 janvier.

Eh bien ! madame, monsieur votre fils n’a donc perdu qu’un cheval, et a gagné de la gloire ! Je lui en fais comme à vous, madame, mon très-tendre compliment. Je me flatte qu’il n’a pas été moins heureux dans la bataille qu’on dit que M. le maréchal de Richelieu a gagnée le 26 décembre[1] contre M. le prince de Brunswick. Jæai gagné, à Potsdam, plus de cinquante louis à ce prince aux échecs ; mais il vaut mieux gagner au beau jeu que M. de Richelieu joue. Je n’ai aucun détail de cette grande journée qui venge l’honneur de nos armes, et qui lave dans le sang Hanovrien la perfidie dont on les accuse, et la honte de l’armée de Soubise.

Vous abandonnez donc Marie-Thérèse, depuis que le roi de Prusse bat ses troupes, reprend Breslau[2], et a quarante mille prisonniers ? Ah ! madame, ne changez pas avec la fortune. Je vous ai vue si bonne Autrichienne ! Mais surtout ayez soin de votre santé. Faites comme moi ; mon appartement est si chaud que j’y suis incommodé des mouches en voyant quarante lieues de neiges. Je me suis arrangé une maison à Lausanne qu’on appellerait palais en Italie ; quinze croisées de face en cintre donnent sur le lac à droite, à gauche, et par devant. Cent jardins sont au-dessous de mon jardin[3]. Le grand miroir du lac les baigne. Je vois toute la Savoie au delà de cette petite mer, et, par delà la Savoie, les Alpes qui s’élèvent en amphithéâtre, et sur lesquelles les rayons du soleil forment mille accidents de lumière. M. des Alleurs n’avait pas une plus belle vue à Constantinople. Dans cette douce retraite, on ne regrette point Potsdam.

Avez-vous toujours Mme de Brumath dans votre île ? Vivez-y longtemps heureuse avec elle. Je ne laisse pas de déchiffrer votre écriture, et j’attends vos lettres avec impatience à Lausanne.


Le Suisse V.
  1. Ce fut le 25 décembre qu’eut lieu le combat où les Hanovriens perdirent cinq à six cents hommes et cent cinquante chariots.
  2. Breslau, pris par les Autrichiens le 24 novembre, avait été repris par les Prussiens le 20 décembre ; voyez la lettre 3521.
  3. Entre autres celui de Monrion.