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mable gouvrrneur[1], voulussent bien se souvenir du Suisse de Lausanne.


3497. — DE MADAME LA MARGAVE DE BAIREUTH.
Le 27 décembre.

Si mon corps voulait se prêter aux insinuations de mon esprit, vous recevriez toutes les postes de mes nouvelles. Je suis, me direz-vous, aussi cacochyme que vous, et cependant j’écris. À cela je vous réponds qu’il n’y a qu’un Voltaire dans le monde, et qu’il ne doit pas juger d’autrui par lui même. Voilà bien du bavardage. Je vois votre impatience d’apprendre les choses qui vous intéressent. Une bataille gagnée[2] ; Breslau au pouvoir du roi ; trente-trois mille prisonniers, sept cents officiers et quatorze généraux de pris, outre cent cinquante canons et quatre mille chariots de vivres, de bagages, et de munitions, sont des nouvelles que je puis vous donner. Je n’ai pas fini. Il est resté quatre mille morts sur le champ de bataille, quatre mille blessés se sont trouvés à Breslau, et on compte quatre mille cinq cents déserteurs. Vous pouvez compter que c’est un fait non-seulement avéré par le roi et toute l’armée, mais même par une foule de déserteurs autrichiens qui ont été ici. Les Prussiens ont cinq cents morts et trois mille blessés. Cette action est unique, et parait fabuleuse. Les Autrichiens étaient forts de quatre-vingt mille hommes : les Prussiens n’en avaient que trente-six mille. La victoire a été disputée ; mais toute l’affaire n’a duré que quatre heures. Je ne me sens pas de joie de ce prodigieux changement de la fortune. Je dois ajouter encore une anecdote : le corps que commandait le roi avait fait quarante-deux milles d’Allemagne en quinze jours de temps, et n’avait eu qu’un jour pour se reposer avant de livrer cette mémorable bataille. Le roi peut dire comme César : Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu. Il me mande qu’il n’est embarrassé à présent que de nourrir et de placer ce prodigieux nombre de prisonniers. La lettre que vous lui avez écrite, où vous lui demandez la relation de la bataille de Mersbourg[3], a été enlevée avec la mienne. Heureusement il n’y avait rien qui puisse vous faire du tort. Je vous adresse la lettre ci-jointe pour le chapeau rouge[4]. Pour des coquineries, il n’y en a point ; pour des douceurs, je n’en réponds pas.

Nous avons eu, il y a trois jours, trois secousses d’un tremblement de terre, à quatre milles d’ici ; on dit que la première était forte, et qu’on a entendu des bruits souterrains. Il n’a causé aucun dommage. On n’a point d’exemple d’un pareil phénomène dans ce pays ; je vous laisse le soin d’en trouver la raison. Bien des compliments à Mme Denis. Soyez persuadé de toute mon estime.


Wilhelmine.
  1. Linant, à qui est adressée une lettre du 12 mars 1758.
  2. Celle du 5 décembre.
  3. Ou de Roshach.
  4. Le cardinal de Tencin.