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3496. — À MADAME D’EPINAI.
À Lausanne, 26 décembre.

Des préjugés sage ennemie,
Vous de qui la philosophie,
L’esprit, le cœur, et les beaux yeux,
Donnent également envie
À quiconque veut vivre heureux
De passer près de vous sa vie ;
Vous êtes, dit-on, tendre amie ;
Et vous seriez encor bien mieux,
Si votre santé raffermie
Et votre beau genre nerveux
Vous en donnaient la fantaisie.


Heureux ceux qui vous font la cour, malheureux ceux qui vous ont connue et qui sont condamnés aux regrets ! Le hibou des Délices est à présent le hibou de Lausanne : il ne sort pas de son trou ; mais il s’occupe avec sa nièce de toutes vos bontés. Il se flatte qu’il y aura de beaux jours cet hiver, car après vous, madame, c’est le soleil qui lui plaît davantage. Il a dans sa masure un petit nid bien indigne de vous recevoir ; mais quand nous aurons de beaux jours et des spectacles, peut-être, madame, ne dédaignerez-vous point de faire un petit voyage le long de notre lac. Vous aurez des nerfs ; M. Tronchin vous en donnera ; j’espère qu’il vous accompagnera. Tous nos acteurs s’efforceront de vous plaire ; nous savons que l’indulgence est au nombre de vos bonnes qualités.

Je vous demande votre protection auprès du premier des médecins, et du plus aimable des hommes, et je lui demande la sienne auprès de vous. Mais si vous voyez la tribu Tronchin, et des Jallabert[1] et des Crommelin, etc., comme on le dit, vous ne sortirez point de Genève, vous ne viendrez point à Lausanne. L’oncle et la nièce en meurent de peur.

Recevez, madame, avec votre bonté ordinaire, le respect et le sincère attachement du hibou suisse.

Me permettez-vous, madame, de présenter mes respects à M. l’abbé de Nicolaï ? Je voudrais bien que monsieur votre fils, qui est si au-dessus de son âge et si digne de vous, et son ai-

  1. J. Jallabert, professeur de philosophie à Genève, où il mourut en 1768. Quant à Crommelin, Voltaire le nomme dans sa lettre du 24 décembre 1758, à Thieriot.