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mis en quatre pour être aimable ; il ne lui est pas difficile d’y réussir. Malgré cela, à vue de pays, j’aimerais mieux vivre habituellement avec M. Diderot, qui, par parenthèse, n’est pas vu ici comme il le mérite. Croiriez-vous qu’on ne parle que de d’Alembert, lorsqu’il est question de l’Encyclopédie ? J’ai dit ce qui en était et ce que j’ai dû dire. Je n’ai dit que la vérité ; mais si j’eusse menti, je serais crue de même : quand je parle, il y a autant d’yeux et de bouches ouvertes que d’oreilles ; cela est bien nouveau et me fait rire.

La nièce de Voltaire est à mourir de rire : c’est une petite grosse femme, toute ronde, d’environ cinquante ans, femme comme on ne l’est point, laide et bonne, menteuse sans le vouloir et sans méchanceté ; n’ayant pas d’esprit et en paraissant avoir ; criant, décidant, politiquant, versifiant, raisonnant, déraisonnant ; et tout cela sans trop de prétentions, et surtout sans choquer personne ; ayant par-dessus tout un petit vernis d’amour masculin, qui perce à travers la retenue qu’elle s’est imposée. Elle adore son oncle en tant qu’oncle et en tant qu’homme ; Voltaire la chérit, s’en moque et la révère : en un mot, cette maison est le refuge et l’assemblage des contraires, et un spectacle charmant pour les spectateurs…


3494. — À M. BERTRAND.
À Lausanne, 24 décembre.

Mon cher philosophe, si votre thermomètre à l’air est si au-dessous de la glace, je m’imagine que le thermomètre de votre appartement est, comme le mien, tout près de l’eau bouillante. Je compte passer mon hiver dans le climat doux que je me suis fait au milieu des glaces, et que la liberté me rend encore plus doux.

Je plains le roi de Prusse d’acquérir tant de gloire aux dépens de tant de sang. Je plains les Français qui vont se faire tuer à deux cents lieues de leur pays, et les Suisses qui les accompagnent, et les peuples qu’ils pillent, et les ministres de Genève qui, lassés de leur vie douce, veulent l’empoisonner en excitant contre eux-mêmes une tempête dont M. d’Alembert ne fera que rire. Je n’ai point vu l’article ; je sais seulement que d’Alembert n’a eu d’autre intention que de faire leur éloge. Il faut qu’ils le méritent par leur circonspection.

J’avais vu les petits vers de l’horloger[1] de Genève ; on les a un peu rajustés, mais il est toujours singulier qu’un horloger fasse de si jolies choses. Sa pendule va juste, et il paraît qu’il pense comme vous. C’est aussi le sentiment de tous les magis-

  1. Il s’appelait Rival : ses vers sont rapportés dans le Commentaire historique.