Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3489. — À MADAME D’EPINAI.

On est aux pieds de la véritable philosophe ; on est pénétré de regrets de la quitter, et de remords de n’être point allé à Genève ; on demande pardon. On souhaite trois ou quatre ans[1] de langueur à la vraie philosophe, afin qu’elle ait besoin quatre ans du grand Tronchin. Les deux ermites lui sont attachés avec tous les sentiments qu’elle inspire. Ah ! si elle pouvait venir à Lausanne !


3490. — À M. TRONCHIN, DE LYON[2].
Lausanne, 20 décembre.

Vous savez la nouvelle victoire du roi de Prusse[3] ; les cinquièmes jours du mois lui sont favorables. M. le maréchal Keith, qui m’écrit du 8 au milieu de ses montagnes, ne me mande point que les Prussiens aient repris Breslau, comme on le dit.

Ce qu’il y a de plus triste, et ce que je ne veux pas croire, c’est qu’une lettre de l’armée de Richelieu parle aussi d’une bataille que nous venons de perdre contre les Hanovriens[4]. Si malheureusement cette nouvelle se confirme, voilà cent mille hommes et deux cents millions de perdus, comme dans la guerre de 1741. Dans ces circonstances malheureuses, vous m’avouerez que les affaires générales seraient plus difficiles à ajuster que des billets de confession. Peut-être le résultat de tant de vicissitudes sera que la cour de France aurait pu donner la paix, il y a quatre mois, et ne pourra pas même la recevoir dans deux.

Dieu veuille que la nouvelle de la prétendue défaite de M. de Richelieu soit sans fondement, et que les prophéties de madame la margrave soient fausses ! Ses desseins sont plus agréables que ses prophéties. Elle ne respire que la paix. Le chaos serait beau à débrouiller. Il serait bien rare de s’accommoder avec le roi de Prusse sans se brouiller avec l’impératrice, et de rester maître du Hanovre sans avoir à craindre le roi de Prusse. Mais je crois

  1. Mme d’Épinai demeura environ deux ans à Genève, et ce fut en 1758 et en 1759 qu’elle y imprima elle-même, avec une petite imprimerie à elle prétée par Gauffecourt, ami de J.-J. Rousseau, les ouvrages intitulés Lettres à mon fils, et Mes Moments heureux, volumes rares, dont elle ne donna pas même un exemplaire à Voltaire. (Cl.)
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.
  3. Celle de Lissa, 5 décembre.
  4. Fausse nouvelle.