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et qui va devenir si considérable ? Tout cela est entouré d’épines. Je ne fais de vœux que pour le bonheur public. Pourquoi faut-il que le roi de Prusse ne se soit pas résolu à faire des sacrifices ! Mais… j’aurais bien des choses à dire qu’on ne peut guère confier au papier… cependant… adieu.


3478. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Au Délices, 10 décembre.

Mon cher et respectable ami, je reçois une lettre de Babet[1] qui a troqué son panier de fleurs contre le portefeuille de ministre. J’en suis enchanté. M. Amelot ni même M. de Saint-Contest n’écrivaient pas de ce style. Je vous remercie de m’avoir procuré un bouquet de fleurs de la grosse Babet.

Rengaînez mes inquiétudes ; mais si, dans l’occasion, on vous parlait encore de mes correspondances, assurez bien que ma première correspondance est celle de mon cœur avec la France. J’ai goûté la vengeance de consoler le roi de Prusse, et cela me suffit. Il est battant d’un côté et battu de l’autre ; à moins d’un nouveau miracle, il sera perdu. Il valait mieux être philosophe, comme il se vantait de l’être.


3479. — DE MADAME D’ÉPINAI À M. GRIMM[2].

Je comptais, mon tendre ami, passer ma matinée avec vous ; mais je suis privée aujourd’hui de cette unique et douce consolation. M. d’Épinai ne fait que de partir, et le courrier en va faire autant. Je n’écris qu’à ma mère, et à vous ce mot pour vous dire que je me porte bien, et que mon sauveur[3], qui est adorable, me rabâche et me gronde presque autant que vous. Il me mène aujourd’hui chez Voltaire pour la première fois. Je n’ai pas voulu me presser de me rendre aux instances continuelles que lui et sa nièce m’ont faites. Il m’a écrit presque tous les jours les plus jolis billets du monde ; j’ai répondu verbalement : je me suis contentée de lui envoyer mon mari, mon fils et M. Linant ; et je me suis tenue tranquille. J’y vais enfin ; mais il me tarde d’être de retour pour causer un peu librement avec vous… Bon ! l’on m’annonce que le courrier est parti, et voilà ma lettre retardée de quatre jours ! Si vous allez être inquiet, je serai désolée. On m’attend, bonjour donc ; à ce soir.

  1. Bernis, surnommé Babet la Bouquetière, avait remplacé Rouillé aux affaires étrangères en juin 1757. (Cl.)
  2. Mémoires et Correspondances de Mme d’Épinai. Paris, Charpentier, 1865, 2 vol. in-18.
  3. Le docteur Tronchin.