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verrons ce beau miracle. Je suis fâché que vous ayez perdu l’idée de venir à mes Délices ; elles commencent à mériter leur nom : elles sont bien plus jolies qu’elles ne l’étaient quand votre petit aimable Patu y fit un pèlerinage. Je vous assure que c’est une jolie retraite, bien convenable à mon âge et à ma façon de penser. Je ne fais pas de si beaux vers que Pope, mais ma maison est plus belle que la sienne, et on y fait meilleure chère, grâce aux soins de Mme Denis ; et je vous réponds que les jardins d’Épicure ne valaient pas les miens. Si jamais vous vous ennuyez des rues de Paris, et que vous vouliez faire un voyage philosophique, je me chargerai volontiers de votre équipage. Dites, je vous en prie, à Lambert, que je vais lui envoyer les poëmes de Lisbonne et de la Loi naturelle. Dites-lui, en même temps, qu’il aurait bien dû s’entendre avec les Cramer pour l’édition de mes rêveries. Il était impossible que cette édition ne se fît pas sous mes yeux ; vous savez que je ne suis jamais content de moi, que je corrige toujours ; et il y a telle feuille que j’ai fait recommencer quatre fois. L’édition est finie depuis quelques jours. Puisque Lambert en veut faire une, il me fera grand plaisir de mettre votre nom[1] à la tête du premier Discours sur l’Homme ; le quatrième[2] est pour un roi, et le premier sera pour un ami : cela est dans l’ordre.

Bonsoir : je vous embrasse,


3151. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG,
à strabourg.
Aux Délices, près de Genève, 12 avril.

J’ai déchiffré votre lettre, madame, avec le plus grand plaisir du monde. Ne jugez point, s’il vous plaît, de mon attachement pour vous par mon long silence. Ma mauvaise santé, ma profonde retraite, l’éloignement où je suis de tout ce qui se passe dans le monde, le peu de part que j’y prends, tout cela fait que je n’ai rien à mander aux personnes dont le commerce m’est le plus cher. Je n’ai presque plus de correspondance à Paris, Le célèbre Tronchin, qui gouvernait ici ma malheureuse santé, m’a abandonné pour aller détruire des préjugés en France, et pour donner la

  1. Voyez les Variantes de ce Discours, et la lettre du 6 décembre 1738, à Thieriot.
  2. C’est-à-dire le cinquième.