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les rend aussi odieux qu’ils doivent l’être. J’en ai reçu des compliments de tous les honnêtes gens du pays.

Quel est donc cet autre jeune prêtre qui veut vous faire passer pour usurier[1] ? Est-ce que vous auriez emprunté à usure à la bataille de Kollin[2], lorsque votre Prussien paraissait devoir mal payer les pensions ? Mais vous m’avouerez qu’à la bataille du 5[3] tout le monde dut vous avancer de l’argent. Voici un nouveau rabat-joie pour les pensions, arrivé le 22 devant Breslau[4].

Les Autrichiens nous vengent et nous humilient terriblement. Ils ont fait à la fois treize attaques aux retranchements prussiens, et ces attaques ont duré six heures ; jamais victoire n’a été plus sanglante et plus horriblement belle. Nous autres drôles de Français, nous sommes plus expéditifs ; notre affaire est faite en cinq minutes.

Le roi de Prusse m’écrit toujours des vers, tantôt en désespéré, tantôt en héros ; et moi, je tâche d’être philosophe dans mon ermitage. Il a obtenu ce qu’il a toujours désiré, de battre les Français, de leur plaire, et de se moquer d’eux ; mais les Autrichiens se moquent sérieusement de lui. Notre honte du 5 lui a donné de la gloire, mais il faudra qu’il se contente de cette gloire passagère trop aisément achetée. Il perdra ses États avec ceux qu’il a pris, à moins que les Français ne trouvent encore le secret de perdre toutes leurs armées, comme ils firent dans la guerre de 1741.

Vous me parlez d’écrire son histoire : c’est un soin dont il ne chargera personne ; il prend ce soin lui-même. Oui, vous avez raison, c’est un homme rare. Je reviens à vous, homme aussi célèbre dans votre espèce que lui dans la sienne ; j’ignorais absolument la sottise dont vous me parlez ; je vais m’en informer, et vous me ferez lire le Mercure[5].

Je fais comme Caton, je finis toujours ma harangue en disant : Deleatur Carthago. Comptez qu’il y a des traits dans l’Éloge de Dumarsais qui font un grand bien. Il ne faut que cinq ou six

  1. Dans le Choix littéraire, 1755-60, vingt-quatre volumes in-8°, dont Vernes était l’éditeur, à l’occasion de l’article Arrérages (de l’Encyclopédie), on accusait d’Alembert de favoriser l’usure. Voyez la lettre de d’Alembert dans le Mercure de décembre 1757, page 97. (B.)
  2. Voyez une note de la lettre 3376.
  3. La bataille de Rosbach, gagnée par Frédéric, le 5 novembre, sur les armées impériale et française.
  4. Les Prussiens y avaient été battus, et s’étaient retirés ; la ville se rendit le 24 aux Autrichiens.
  5. On y avait imprimé la [[Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3340 |lettre n° 3340]].