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donné furieusement le change, quand on vous a parlé. Que pourrait-on attribuer à mes correspondances ? quel ombrage pourrait en prendre la cour de Vienne ? Quel prétexte singulier ! Je voudrais qu’on fût aussi persuadé de mes sentiments à la cour de France qu’on l’est à la cour de l’impératrice. Mais, quels que soient les sentiments d’un particulier obscur, ils doivent être comptés pour rien ; s’ils l’étaient pour quelque chose, la personne en question[1] devrait me savoir un assez grand gré des choses que je lui ai confiées. S’il a pensé que cette confidence était la suite de l’intérêt que je prenais encore au roi de Prusse, et si une autre personne[2] a eu la même idée, tous deux se sont bien trompés ; je les ai instruits d’une chose qu’il fallait qu’ils sussent. Mme de Pompadour, à qui j’en écrivis d’abord, m’en parut satisfaite par sa réponse. L’autre, à qui vous m’avez conseillé d’écrire, et à qui je devais nécessairement confier les mêmes choses qu’à Mme de Pompadour, ne m’a pas répondu. Vous sentez combien son silence est désagréable pour moi, après la démarche que vous m’avez conseillée, et après la manière dont je lui ai écrit. Ne pourriez-vous point le voir ? Ne pourriez-vous point, mon cher ange, lui dire à quel point je dois être sensible à un tel oubli ? S’il parlait encore de mes correspondances, s’il mettait en avant ce vain prétexte, il serait bien aisé de détruire ce prétexte en lui faisant connaître que, depuis deux ans, le roi de Prusse me proposa, par l’abbé de Prades, de me rendre tout ce qu’il m’avait ôté. Je refusai tout sans déplaire, et je laissai voir seulement que je ne voulais qu’une marque d’attention pour ma nièce, qui pût réparer, en quelque sorte, la manière indigne dont on en avait usé envers elle. Le roi de Prusse, dans toutes ses lettres, ne m’a jamais parlé d’elle. Mme la margrave de Baireuth a été beaucoup plus attentive. Vous voilà bien au fait de toute ma conduite, mon divin ange, et vous savez tous les efforts que le roi de Prusse avait faits autrefois pour me retenir auprès de lui. Vous n’ignorez pas qu’il me demanda lui-même au roi. Cette malheureuse clef de chambellan était indispensablement nécessaire à sa cour. On ne pouvait entrer aux spectacles sans être bourré par ses soldats, à moins qu’on n’eût quelque pauvre marque qui mît à l’abri. Demandez à Darget comme il fut un jour repoussé et houspillé. Il avait beau crier : Je suis secretaire ! On le bourrait toujours.

  1. L’abbé de Bernis.
  2. Mme de Pompadour.