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barbouillage d’historien. On m’écrit de Vienne et de Pétersbourg aussi bien que des pays où le roi de Prusse perd et gagne des batailles. Je ne m’intéresse à aucun événement que comme Français. Je n’ai d’autre intérêt et d’autre sentiment que ceux que la France m’inspire ; j’ai en France mon bien et mon cœur.

Tout ce que je souhaite, comme citoyen et comme homme, c’est qu’à la fin une paix glorieuse venge la France des pirateries anglaises, et des infidélités qu’elle a essuyées ; c’est que le roi soit pacificateur et arbitre, comme on le fut aux traités de Vestphalie. Je désire de n’avoir pas le temps de faire l’Histoire du czar Pierre, et quelque mauvaise tragédie, avant ce grand événement[1].

Si vous pouvez rencontrer, mon divin ange, la personne[2] qui a bien voulu vous parler de moi, dites-lui, je vous prie, que j’aurais été bien consolé de recevoir deux lignes de sa main, par lesquelles il eût seulement assuré ce vieux Suisse des sentiments qu’il vous a témoignés pour moi.

Savez-vous que le roi de Prusse a marché, le 10 de novembre, au général Marschall, qui allait entrer avec quinze mille hommes en Brandebourg, et qui a reculé en Lusace ? Vous pourriez bien entendre parler encore d’une bataille. Ne cessera-t-on point de s’égorger ? Nous craignons la famine dans notre petit canton. Un tremblement de terre vient d’engloutir la moitié des îles Açores, dont on m’avait envoyé le meilleur vin du monde ; la reine de Pologne[3] vient de mourir de chagrin ; on se massacre en Amérique ; les Anglais nous ont pris vingt-cinq vaisseaux marchands. Que faire ? Gémir en paix dans sa tanière, et vous aimer de tout son cœur.


3467. — À M. D’ALEMBERT.
Aux Délice, 2 décembre.

Dumarsais n’a commencé à vivre, mon cher philosophe, que depuis qu’il est mort ; vous lui donnez l’existence et l’immortalité[4]. Vous faites à jamais votre éloge par les Éloges que vous

  1. La pacification générale ne s’opéra qu’en février 1763.
  2. Encore l’abbé de Bernis.
  3. Marie-Josèphe d’Autriche, fille de l’empereur Joseph, est morte à Dresde le 17 novembre 1757. Elle était la mère de la dauphine qui donna le jour à Louis XVI, Louis XVIII, et Charles X. (B.)
  4. Allusion à son Êloge, par d’Alembert, qui est dans le tome VII de l’Encyclopédie.