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3464. — De MADAME LA MARGRAVE DE BAIREUTH.
Le 30 novembre.

Schweidnitz est pris[1] et le prince Charles battu. C’est ainsi que la vie de l’homme est un mélange de biens et de maux. Les traitres Saxons ont causé par leur rébellion la reddition de la place, qui a pourtant essuyé un assaut avant de se rendre. Je n’ai encore aucune particularité de la bataille de Breslau ; tout ce que je sais est que le prince Charles, avec une armée de près de soixante mille hommes, a attaqué le prince de Bevern, qui a peine en avait la moitié, et que la victoire de ce dernier est complète. Le roi était déjà sur les frontières de Silésie, lorsqu’il apprit cette heureuse nouvelle[2]. Il marche en hâte pour couper la retraite aux Autrichiens. Je doute qu’il y parvienne, étant trop éloigné. Il s’est emparé de tous leurs magasins en Lusace : ce qui a obligé le corps de Marschall[3] a se retirer.

J’ai reçu deux de vos lettres, avec des incluses pour le roi, que je lui enverrai par la première occasion. J’ai pris la liberté d’en tirer copie. Adhémar vous a fait, à ce qu’il m’a dit, une relation de la bataille, sans quoi je vous l’aurais envovée. Je ne veux point priver le roi de ce plaisir. Vous la recevrez de sa main ; elle vaudra sans doute beaucoup mieux que toutes les autres. J’espère que le retour de la fortune aura banni toute idée sinistre de son esprit. Si le maréchal de Richelieu s’était avancé, c’était fait de sa vie. Il serait tombé sur lui, et serait mort l’épée à la main. Je puis vous assurer que c’était son dessein, ce que je puis prouver par ses lettres. Je n’osais vous le dire alors, puisqu’il me l’avait confié sous le secret. Nous avons quatre mille lièvres ou fuyards de l’armée de l’empire campés dans le pays. Ce sont autant de loups affamés qui pourraient bien nous communiquer leur faim. Ces pauvres gens ont été huit jours sans vivres, ne buvant que de l’eau bourbeuse, et dormant à la belle étoile ; on les a préparés de cette façon à marcher au combat. Les Français étaient un peu mieux ; mais ils manquaient aussi de pain. L’Allemagne n’est point faite pour les armées françaises ; on en a déjà vu l’exemple dans la dernière guerre, il sera renouvelé dans celle-ci. Je souhaite leurs petes et leurs maux aux Autrichiens. J’ai un chien de tendre pour eux, qui m’empêche de leur vouloir du mal ; le roi ne leur en fait qu’avec peine. Il l’a bien prouvé ; il pouvait les abîmer, s’il avait voulu les poursuivre comme il le fallait. Qu’il est à plaindre ! il passe ses jours dans le sang et dans le carnage. C’est le destin des héros, mais un destin bien triste pour un philosophe. Continuez, je vous prie, a

  1. Le 12 novembre, par le général autrichien Nadasti.
  2. La nouvelle était fausse. Auguste-Guillaume, duc de Brunswick-Bevern, battu le 22 novembre, prés de Breslau, par le prince Charles-Alexandre de Lorraine et par Daun, était tombé au pouvoir des Autrichiens quelques jours plus tard. (Cl.)
  3. Général autrichien cité plus haut, lettre 3459, page 305.