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dont il était question. Je vous assure qu’on est bien fier. Nous verrons si M. le maréchal de Richelieu rabaissera ou augmentera cette fierté.

P. S. Le roi de Prusse avoue qu’il a eu cent hommes de tués et deux cent soixante de blessés dans notre bataille des éperons. Voyez la malice d’avoir placé de l’artillerie sur des plateaux sans que nos généraux s’en soient doutés !


3461. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Aux Délices, près de Genève, 24 novembre.

Madame, la lettre dont Votre Altesse sérénissime m’honore est un grand témoignage de la générosité de votre cœur. Vos États ont été le théâtre de la guerre, et vous daignez penser à moi. Quel jour, madame, que celui où elle a daigné m’écrire[2] ! C’est celui où cette nation, dans laquelle vous avez trouvé des gens aimables, était bien malheureuse ; c’est celui où un roi, à qui ses ennemis ne peuvent refuser leur admiration, se couvrait de gloire par la plus habile conduite et par le plus grand courage. Il a dû repasser par vos États, madame, des milliers de blessés. Encore si c’étaient de vos maudits Croates, qui sont si incivils ? Mais ce sont des gens très-polis, et qui certainement avaient eu pour Votre Altesse sérénissime tout le respect qu’on lui doit. Plût à Dieu que cette sanglante journée fût au moins un acheminement à une paix générale ! C’est tout ce que je peux dire. Je plains ma nation ; je m’intéresse tendrement à tout ce qui vous touche, madame. J’admire l’homme dont Votre Altesse sérénissime me parle ; je la remercie de tout ce qu’elle aura daigné lui dire de moi. Je n’ai en vérité d’autre objet, d’autre espérance que la retraite, et à mon âge la tranquillité est le comble de la fortune. Mais il est toujours bien doux de n’être pas haï de ceux qu’on admire. C’est à vos bontés, madame, que je dois les siennes. Il a été assez grand pour me confier ses malheurs, et il est peut-être actuellement si occupé qu’il ne me parlera pas de ses succès, ou, s’il daigne m’en parler, ce sera avec une modération qui relèvera sa gloire.

Je me mets à vos pieds, madame, avec la plus vive reconnaissance, avec le plus profond et le plus tendre respect. Je ne re-

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Le jour de la bataille de Rosbach.