Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/307

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disait : « Je puis souffrir les injures et la misère, mais je ne peux vivre avec les injures, la misère, et l’ignominie ensemble. » Vous êtes couvert de gloire dans vos revers ; il vous reste de grands États ; l’hiver vient ; les choses peuvent changer. Votre Majesté sait que plus d’un homme considérable pense qu’il faut une balance, et que la politique contraire est une politique détestable ; ce sont leurs propres paroles.

J’oserai ajouter encore une fois[1] que Charles XII, qui avait votre courage avec infiniment moins de lumières et moins de compassion pour ses peuples, fit la paix avec le czar sans s’avilir. Il ne m’appartient pas d’en dire davantage, et votre raison supérieure vous en dit cent fois plus.

Je dois me borner à représenter à Votre Majesté combien sa vie est nécessaire à sa famille, aux États qui lui demeureront, aux philosophes qu’elle peut éclairer et soutenir, et qui auraient, croyez-moi, beaucoup de peine à justifier devant le public une mort volontaire, contre laquelle tous les préjugés s’élèveraient. Je dois ajouter que, quelque personnage que vous fassiez, il sera toujours grand.

Je prends, du fond de ma retraite, plus d’intérêt à votre sort que je n’en prenais dans Potsdam et dans Sans-Souci. Cette retraite serait heureuse, et ma vieillesse infirme serait consolée, si je pouvais être assuré de votre vie, que le retour de vos bontés me rend encore plus chère.

J’apprends que monseigneur le prince de Prusse est très-malade : c’est un nouveau surcroît d’affliction, et une nouvelle raison de vous conserver. C’est très-peu de chose, j’en conviens, d’exister pour un moment au milieu des chagrins, entre deux éternités qui nous engloutissent ; mais c’est à la grandeur de votre courage à porter le fardeau de la vie, et c’est être véritablement roi que de soutenir l’adversité en grand homme.


3450. — À M. ET À MADAME D’ÉPINAI[2].

Je ne suis point encore assez heureux pour être en état d’aller rendre mes devoirs à M. et à Mme d’Épinai. On m’assure que madame se porte déjà beaucoup mieux ; nous l’assurons, Mme Denis

  1. Il l’avait déjà dit dans la lettre 3425.
  2. Louise-Florence-Pétronille Tardieu d’Esclavelles, née vers 1725, mariée en 1745 à M. de Lalive d’Épinai, fermier général, morte en 1785. Ses Mémoires et Correspondance ont été publiés en 1818, trois vol. in-8°, et en 1865, 2 vol. in-18.