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d’avoir été deux jours dans Berlin, et d’avoir emporté deux cent mille écus à celui qui prenait tout. Ils ont bien promis d’y revenir. L’impératrice a dit : « Daun m’a fait plus de bien ; mais Hadish m’a fait plus de plaisir. » La révolution va grand train. Les Autrichiens font tout ; les Français semblent se borner aux quartiers d’hiver. Le temps dévoilera ce mystère.

Esculape-Tronchin nous attire ici toutes les jolies femmes de Paris. Elles s’en retournent guéries et embellies. Il est allé au-devant de Mme d’Épinai, qui s’est trouvée mal sur le chemin de Lyon à Genève, Il lui rendra la santé comme aux autres. Je ne crois d’autres miracles que les siens. Nous avons aussi l’abbé de Nicolaï, qu’il arracha dans Paris à dix-huit saignées et à la mort. Enfin je vis, et je le remercie aussi pour ma part.


3446. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 8 novembre.

Cela est d’une belle âme, mon cher ange, de m’envoyer de quoi vous faire des infidélités. Je veux avoir des procédés aussi nobles que vous ; vous trouverez le premier acte assez changé. C’est toujours beaucoup que je vous donne des vers quand je suis abîmé dans la prose, dans les bâtiments, et dans les jardins. J’ai bien moins de temps à moi que je ne croyais ; on s’est mis à venir dans mes retraites ; il faut recevoir son monde, dîner, se tuer, et, qui pis est, perdre son temps. J’en ai trouvé pourtant pour votre Fanime ; mais je vous avertis que je la veux un peu coupable, c’est-à-dire coupable d’aimer comme une folle, sans avoir d’autres motifs de sa fuite que les craintes que l’amour lui a inspirées pour son amant. Je serai d’ailleurs honteux pour le public s’il reçoit cette tragédie amoureuse plus favorablement que Rome sauvée et qu’Oreste ; cela n’est pas juste. Une scène de Cicéron, une scène de César, sont plus difficiles à faire, et ont plus de mérite que tous les emportements d’une femme trompée et délaissée. Le sujet de Fanime est bien trivial, bien usé ; mais enfin vos premières loges sont composées de personnes qui connaissent mieux l’amour que l’histoire romaine. Elles veulent s’attendrir, elles veulent pleurer, et avec le mot d’amour on a cause gagnée avec elles. Allons donc, mettons-nous à l’eau de rose pour leur plaire. Oublions mon âge. Je ne devrais ni planter des jardins, ni faire des vers tendres ; cependant j’ai ces deux torts, et j’en demande pardon à la raison.