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Mon bonheur serait encore plus grand, mon cher Dupont, si vous pouviez le partager. Libre dans ma retraite auprès de Genève, libre auprès de Lausanne, sans rois, sans intendant, sans jésuites[1] ; n’ayant d’autres devoirs que mes volontés ; ne voyant que des souverains qui vont à pied, et qui viennent dîner chez moi ; aussi agréablement logé qu’on puisse l’être ; tenant, avec ma nièce, une fort bonne maison, sans aucun embarras, il ne me manque que vous. Nos spectacles de Lausanne ne commenceront qu’en janvier. C’est malheureusement le temps où vous plaidez :


Et pro sollicitis non tacitus reis,
Et centum puer artium.

(Hor., lib. IV, od. i.)

C’est grand dommage que vous soyez à Colmar. Une femme, des enfants et des plaideurs, vous arrêtent dans votre haute Alsace. Vous seriez bien content de la vie de Lausanne et des agréments de ma petite terre des Délices ; mais votre destinée vous retient où vous êtes.

Quand je vous dis que j’ai renoncé aux rois, cela ne m’empêche pas de recevoir souvent des lettres du roi de Prusse. Je suis occupé depuis trois mois à le consoler : c’est une belle et douce vengeance. Il avoue que je suis plus heureux que lui, et cela me suffit. J’ai fait depuis peu, avec l’électeur palatin, une affaire aussi bonne qu’avec le duc de Wurtemberg. Voilà comme il faut en user avec les souverains, et ne jamais dépendre d’eux. J’embrasse Mme Dupont et vos enfants aimables. Vale, vive felix, et me ama.

Mes respects à M. et Mme de Klinglin.


Voltaire.

3443. — À M. TRONCHIN, DE LYON[2].
Délices, 5 novembre.

Les gens[3] dont je vous parlais dans mes dernières lettres me paraissent toujours dans le plus grand désespoir, et se vantent de résolutions extrêmes ; mais, pour se consoler, vous voyez

  1. Allusion aux jésuites Kroust, Merat, etc., dont les intrigues avaient empêché Voltaire, en 1754, de s’établir à Horbourg, près de Colmar. (Cl.)
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.
  3. La margrave de Baireuth et Frédéric II.