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3441. — À M. PALISSOT.
Au Chêne, à Lausanne, 29 octobre.

La mort de ce pauvre petit Patu[1] me touche bien sensiblement, monsieur. Son goût pour les arts et la candeur de ses mœurs me l’avaient rendu très-cher. Je ne vois point mourir de jeune homme sans accuser la nature ; mais, jeunes ou vieux, nous n’avons presque qu’un moment ; et ce moment si court, à quoi est-il employé ? J’ai perdu le temps de mon existence à composer un énorme fatras dont la moitié n’aurait jamais dû voir le jour. Si, dans l’autre moitié, il y a quelque chose qui vous amuse c’est au moins une consolation pour moi. Mais, croyez-moi, tout cela est bien vain, bien inutile pour le bonheur. Ma santé n’est pas trop bonne : vous vous en apercevrez à la tristesse de mes réflexions. Cependant je m’occupe avec Mme Denis à embellir mes retraites auprès de Genève et de Lausanne. Si jamais vous faites un nouveau voyage vers le Rhône, vous savez que sa source[2] est sous mes fenêtres. Je serais charmé de vous voir encore, et de philosopher avec vous. Conservez votre souvenir au Suisse V.


3442. — À M. DUPONT,
avocat.
Au Chêne, à Lausanne, 5 novembre.

Croyez-moi, je renonce à toutes les chimères
Qui m’ont pu séduire autrefois ;
Les faveurs du public et les faveurs des rois
Aujourd’hui ne me touchent guères.
Le fantôme brillant de l’immortalité
Ne se présente plus à ma vue éblouie.
Je jouis du présent, j’achève en paix ma vie
Dans le sein de la liberté.
Je l’adorai toujours, et lui fus infidèle ;
J’ai bien réparé mon erreur ;
Je ne connais de vrai bonheur
Que du jour que je vis pour elle.

  1. Voyez tome XXXVIII, page ; 501.
  2. Voltaire, d’après ce qu’il en dit ici et en d’autres lettres, semblerait avoir cru que le lac Léman, à sa sortie de Genève, donne naissance au Rhône ; c’est tout le contraire. La source de ce fleuve part du mont Furka, aux confins du canton d’Uri, et ses eaux, après avoir parcouru le canton du Valais dans toute sa longueur, forment le beau lac dont Voltaire a dit :

    Mon lac est le premier, etc.