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je suis né infirme ; je n’ai qu’un moment à vivre ; j’ai été bien malheureux, vous le savez ; mais je mourrais heureux, si je vous laissais sur la terre mettant en pratique ce que vous avez si souvent écrit.


3427. — À M. DARGET.
Aux Délices, 5 octobre 1757.

Bénis soient les Russes, qui m’ont procuré une de vos lettres, mon cher monsieur ! Vous êtes un homme charmant ; on voit bien que vous n’abandonnez pas vos amis au besoin. Mais comment l’écrit, que vous avez la bonté de m’envoyer, vous est-il parvenu ? Savez-vous bien que c’est pour moi que le roi de Prusse avait bien voulu faire rédiger ce mémoire ? Il est parmi mes paperasses depuis 1738, et j’en ai même fait usage dans les dernières éditions de la Vie de Charles XII. Je l’ai négligé depuis comme un échafaudage dont on n’a plus besoin. J’en avais même égaré une partie, et vous avez la bonté de m’en faire parvenir une copie entière dans le temps qu’il peut m’être plus utile que jamais. Il est vrai que l’impératrice de Russie a paru souhaiter que je travaillasse à l’histoire du règne de son père, et que je donnasse au public un détail de cette création nouvelle. La plupart des choses que M. de Vokenrodt a dites étaient vraies autrefois, et ne le sont plus. Pétersbourg n’était autrefois qu’un amas irrégulier de maisons de bois ; c’est à présent une ville plus belle que Berlin, peuplée de trois cent mille hommes ; tout s’est perfectionné à peu près dans cette proportion. Le czar a créé, et ses successeurs ont achevé. On m’envoie toutes les archives de Pierre le Grand. Mon intention n’est pas de dire combien il y avait de vessies de cochon à la fête des cardinaux qu’il célébrait tous les ans, ni combien de verres d’eau-de-vie il faisait boire aux filles d’honneur à leur déjeuner, mais tout ce qu’il a fait pour le bien du genre humain dans l’étendue de deux mille lieues de pays. Nous ne nous attendions pas, mon cher ami, quand nous étions à Potsdam, que les Russes viendraient à Kœnigsberg avec cent pièces de gros canon, et que M. de Richelieu serait dans le même temps aux portes de Magdebourg. Ce qui pourra peut-être encore vous étonner, c’est que le roi de Prusse m’écrive aujourd’hui, et que je sois occupé à le consoler. Nous voilà tous éparpillés. Vous souvenez-vous qu’entre vous et Algarotti c’était à qui décamperait le premier ? Mais que devient votre fils ? est-il toujours là ? ou bien avez-vous la consolation de le voir auprès de