Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3423. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 1er octobre.

Je ne vous ai point encore parlé, mon divin ange, de M. et de Mme de Montferrat[1]’, qui sont venus bravement faire inoculer leur fils unique à Genève. Ils viennent souvent dîner dans mon petit ermitage, où ils voient des gens de toutes les nations, sans excepter le pays d’Alzire.

Nous avons aux portes de Genève une troupe dans laquelle il y a quelques acteurs passables. J’ai eu le plaisir de voir jouer L’Orphelin de la Chine, pour la première fois de ma vie. J’ai, dans plus d’un endroit, souhaité des Clairon et des Lekain ; mais on ne peut tout avoir. C’est vous, mon cher et respectable ami, que je souhaite toujours, et que je ne vois jamais. Vous m’allez dire qu’après avoir vu des comédies je devrais être encouragé à en donner ; que je devrais vous envoyer Fanime dans son cadre pour le mois de novembre ; mais je vous conjure de vous rendre aux raisons que j’ai de différer. Empêchez, je vous en supplie, qu’on ne me prodigue à Paris. Ce serait actuellement un très-grand chagrin pour moi d’être livré au public. Il viendra un temps plus favorable, et alors vous gratifierez les comédiens de cette Fanime, quand vous la jugerez digne de paraître. Nous nous amuserons à donner des essais sur notre petit théâtre de Lausanne, et nous vous enverrons ces essais ; mais point de Paris à présent. Comptez que ce n’est point dégoût, c’est sagesse : car, en vérité, rien n’est si sage que de s’amuser paisiblement de ses travaux, sans les exposer aux critiques de votre parterre. Je vous supplie instamment de me mander s’il est vrai que vous ayez à Paris ou à la cour un comte de Gotter[2], grand-maréchal de la maison du roi de Prusse, tout fraîchement débarqué, pour demander quelque accommodement qui sera, je crois, plus difficile à négocier que ne l’a été l’union de la France et de l’Autriche. Je reçois assez souvent des lettres du roi de Prusse, beaucoup plus singulières, beaucoup plus étranges que toute sa conduite avec moi depuis vingt années. Je vous jure que la chose est curieuse. Je vois tout à présent avec tranquillité. Je suis heureux

  1. La marquise de Montferrat est la dame dont le nom figure en tête d’un madrigal imprimé dans le tome X.
  2. C’est sans doute à ce comte que Voltaire avait adressé, en 1753, la lettre 2659.