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lions d’hommes sur la terre. Les enfants ne se font pas à coups de plume, et il faut des circonstances fort heureuses pour que la population augmente d’un vingtième en cent années. Un dénombrement fait en 1718, probablement très-fautif, ne donne à Clermont que 1,324 feux ; si on comptait (en exagérant) dix personnes par feu, ce ne serait que 13,240 têtes ; et si, depuis ce temps, le nombre en était monté à vingt mille, ce serait un progrès dont il n’y a guère d’exemples. Il vaut mieux croire que l’auteur du dénombrement des feux s’est trompé ; mais, quand même il se serait trompé de moitié, quand même il y aurait eu le double de feux qu’il suppose, c’est-à-dire 2,648, jamais on ne compte que cinq à six habitants par feu ; mettons-en six : il y aurait eu 15,888 habitants à Clermont ; et, depuis ce temps, le nombre se serait accru jusqu’à vingt mille par une administration heureuse, et par des événements que j’ignore.

Tout concourt donc, monsieur, à persuader que Clermont ne contient en effet que vingt mille habitants ; s’il s’en trouvait quarante mille sur environ 588 baptêmes par an, ce serait un prodige unique dont je ne pourrais demander la raison qu’à vos lumières.

Voilà, monsieur, ce que mes faibles connaissances me permettent de répondre à la lettre dont vous m’avez honoré. Cette lettre me fait voir quelle est votre exactitude et votre sage application dans votre gouvernement ; elle me remplit d’estime pour vous, monsieur ; et ce n’est que par pure obéissance à vos ordres que je vous ai exposé mes idées, que je dois en tout soumettre aux vôtres. Vous êtes à portée de faire une opération beaucoup plus juste que ma règle. On vient, dans toute l’étendue de la domination de Berne, d’envoyer dans chaque maison compter le nombre des maîtres, des domestiques, et même des chevaux. Il est vrai qu’on s’en rapporte à la bonne foi de chaque particulier, dans le seul pays de l’Europe où l’on ne paye pas la moindre taxe au souverain, et où cependant le souverain est très-riche. Mais, sous une administration telle que la vôtre, quel particulier pourrait déranger, par sa réticence, une opération utile qui ne tend qu’à faire connaître le nombre des habitants, et à leur procurer des secours dans le besoin ?

J’ai l’honneur d’être avec la plus respectueuse estime, etc.


Voltaire.