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trouva très-juste : car, s’étant donné la peine de compter un par un tous les habitants de cette petite ville, il vérifia que sa règle de 34 était la plus sûre.

Cependant elle ne l’est ni dans les villes dont il part beaucoup d’émigrants, ni dans celles où viennent s’établir beaucoup d’étrangers ; et, dans ce dernier cas, on ajoute pour les étrangers un supplément qu’il n’est pas malaisé de faire.

Toutes ces régles ne sont pas d’une justesse mathématique ; vous savez mieux que moi, monsieur, qu’il faut toujours se contenter de l’à-peu-près. La fameuse méridienne de France n’est certainement pas tirée en ligne droite ; le roi n’a pas le même revenu tous les ans, et le complet n’est jamais dans les troupes. Il n’y a que Dieu qui ait fait au juste le dénombrement des combattants du peuple d’Israël, qui se trouva de six cent mille[1] hommes au bout de deux cent quinze ans, tous descendants de Jacob, sans compter les femmes, les vieillards, et les enfants.

Les habitants de Clermont en Auvergne ne peuvent avoir augmenté dans cette miraculeuse progression. Ceux qui ont attribué quarante-cinq mille citoyens à cette ville ont presque autant exagéré que l’historien Josèphe, qui comptait douze cent mille âmes dans Jérusalem pendant le siège. Jérusalem n’en a jamais pu contenir trente mille.

Lorsque j’étais à Bruxelles[2], on me disait que la ville avait cinquante mille habitants : le pensionnaire, après avoir pris toutes les instructions qu’il pouvait, m’avoua qu’il n’en avait pas trouvé dix-sept mille[3].

J’ai fait usage de la règle de 34 à Genève ; elle s’est trouvée un peu trop forte. On compte dans Genève environ vingt-cinq mille habitants ; il y naît environ sept cent soixante-quinze enfants, année commune : or 775 multiplié par 34 donne 26,350.

La règle de 33 donnerait 25,575 têtes à Genève[4]. Cela posé, monsieur, il paraît évident qu’il y a tout au plus vingt mille personnes à Clermont, et ce nombre ne doit pas vous paraître extraordinaire ; les hommes ne peuplent pas comme le prétendent ceux[5] qui nous disent froidement qu’après le déluge il y avait des mil-

  1. Il est question de six cent trois mille cinq cent cinquante dans le chapitre ier des Nombres, verset 46.
  2. En 1740, 1741. et 1742.
  3. En 1824, on comptait cent douze mille habitants à Bruxelles. (Cl.)
  4. C’était ce nombre d’habitants que des hommes bien informés comptaient encore à Genève en 1823. (Cl.)
  5. Le père Petau ; voyez tome XXVII, page 73.