je ne suis revenu que depuis peu de jours à mon petit ermitage. Je plante d’un côté, je bâtis d’un autre. Il faut occuper doucement sa vieillesse.
Ne m’oubliez pas, je vous prie, auprès de madame votre mère, quand vous lui écrirez, et comptez toujours sur le souvenir et sur l’amitié du Suisse V.
Je vous écris, mon cher monsieur, en sortant de l’Orphelin de la Chine, qui a été assez bien joué. Je crois qu’incessamment vous aurez la même troupe à Berne ; elle sera dans votre ville. Vous n’êtes pas gens à chercher votre plaisir ailleurs que chez vous. On ne parle plus du tout à Berne de la querelle qu’une[1] ou deux personnes très-méprisées ont voulu exciter. L’indignation contre ces brouillons subsiste, et leurs sottises sont livrées à l’oubli, digne punition des sots. Je vous remercie bien tendrement de toutes vos attentions obligeantes pour du vin que je voudrais bien boire avec vous. J’écris à M. le bailli de Lausanne, ne voulant rien faire sans son aveu. Il est vrai que le vin de la Côte me fait mal à la gorge ; mais je risquerais volontiers des esquinancies pour jouir de la liberté et de la douceur helvétiques. J’espère que ma maison de Lausanne sera prête pour le mois de novembre.
On m’écrit de Vienne que le combat[2] entre les Russes et les Prussiens a été entièrement à l’avantage des Russes, et que le comte de Dohna, que le roi de Prusse envoyait pour commander à la place du général Lehwald, est très-dangereusement blessé. On presse vivement à Vienne et à Ratisbonne la cérémonie du ban de l’empire. On s’attend, pendant ce temps-là, à une bataille entre les troupes du roi de Prusse et celles du prince de Soubise, vers Eisenach.
Si, après cela, nous avons la paix, il faut avouer qu’elle sera chèrement achetée. Il paraît ici une espèce d’Histoire du roi de Prusse ; c’est l’ouvrage d’un gredin, cela fait mal au cœur. J’ai peur que le fiscal de l’empire n’ajoute un chapitre à cette histoire.
Mille tendres respects à M. et à Mme de Freudenreich. Adieu, mon très-cher philosophe.