Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce sont là ces soldats qui n’avaient que des bâtons brûlés par le bout à Narva, qui ont ensuite vaincu Charles XII, qui ont fait fuir les janissaires, et fait passer les Suédois sous les fourches caudines. Joignez à ces miracles un opéra italien, une comédie, des sciences, et vous verrez que le sujet est beau.

Je suis fâché de la mort de Mme de Rochester-Sandwich. C’est une bonne tête qui est rongée de vers. La cervelle de Newton et celle d’un capucin sont de même nature ; cela est bien cruel, mais qu’y faire ?


Ipse Epicurus obit decurso lumine vitæ[1].


Si j’avais eu de la santé, et point de nièce, j’aurais pu faire un petit tour avec le vainqueur de Mahon ; mais je ne quitte plus ce que j’aime pour des héros.

On ne croit pas que mon disciple puisse résister ; il faudra qu’il meure à la romaine, ou qu’il s’en console à la grecque ; qu’il se tue, ou qu’il soit philosophe. Voilà un grand exemple ; mais nous n’en sommes encore qu’aux premiers actes de la pièce : il faut voir le dénoûment. Il arrive toujours dans les affaires quelque chose à quoi on ne s’attend point.

Intérim, vale ; et mémento de l’abbé Hubert et du Suisse V.


3412. — À M. LE MARECHAL DUC DE RICHELIEU[2].

Si j’étais moins vieux, moins infirme, je n’écrirais point à mon héros ; je viendrais en Allemagne, je serais témoin de sa nouvelle gloire. Mais, monseigneur, je suis condamné par la nature à planter des choux, quand vous allez cueillir des lauriers. J’aurai du moins des protecteurs auprès de vous.

Messieurs de Châteauvieux, qui se chargent de ma lettre, ont l’honneur et le plaisir de servir sous tous. Ce sont de braves gentilshommes de nos cantons, qui se sont mis à aimer la France de tout leur cœur, et qui vont l’aimer bien davantage en combattant sous vos ordres. Ils ont levé, il y a quelques années, des compagnies à leurs dépens[3] ; ils sont fils d’un des chefs les plus respectables de la république de Genève. Comme je suis Genevois

  1. Lucrèce, livre III, vers 1055.
  2. Les éditeurs, MM. de Cayrol et François, ont daté cette lettre du mois de mai. Elle ne peut être que postérieure à ce mois.
  3. On a là l’origine des Suisses de Châteauvieux, qui ont tant fait parler d’eux souts la Révolution.