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être malheureuse. Puissent de si justes alarmes ne pas altérer votre santé ! C’est sans doute ce que vous représentent mieux que moi ceux qui sont attachés à Votre Altesse royale. Il est bien à souhaiter pour elle, et pour l’Allemagne, et pour l’Europe, qu’une bonne paix fondée sur tous les anciens traités finisse tant de troubles et de malheurs ; mais il ne paraît pas que cette paix soit si prochaine.

Dans ces circonstances, madame, me sera-t-il permis de mettre sous votre protection cette lettre que j’ose écrire à Sa Majesté le roi votre frère ? Votre Altesse royale la lui fera tenir si elle le juge convenable ; elle y verra du moins mes sentiments, et je suis sûr qu’elle les approuvera. Au reste, je ne croirai jamais les choses désespérées tant que le roi aura une armée. Il a souvent vaincu, il peut vaincre encore ; mais, si le temps et le nombre de ses ennemis ne lui laissent que son courage, ce courage sera respecté de l’Europe. Le roi votre frère sera toujours grand, et, s’il éprouve des malheurs comme tant d’autres princes, il aura une nouvelle sorte de gloire. Je voudrais qu’il fût persuadé de son mérite personnel : il est au point que beaucoup de personnes de tout rang le respectent plus comme homme que comme roi. Qui doit sentir mieux que vous, madame, ce que c’est que d’être supérieure à sa naissance !

Je serais trop long si je disais tout ce que je pense, et tout ce que mon tendre respect m’inspire. Daignez lire dans le cœur de


Frère Voltaire.

3405. — À M. D’ALEMBERT.
Au Chêne[1], 29 août.

Me voici, mon cher et illustre philosophe, à Lausanne ; j’y arrange une maison où le roi de Prusse pourra venir loger quand il viendra de Neufchâtel, s’il va dans ce beau pays, et s’il est toujours philosophe. Il m’a écrit, en dernier lieu, une lettre héroïque et douloureuse. J’aurais été attendri, si je n’avais songé à l’aventure de ma nièce, et à ses quatre baïonnettes.

Je recommande à mon prêtre moins d’hébraïsme et plus de philosophie ; mais il est plus aisé de copier le Targum que de penser. Je lui ai donné Messie[2] à faire ; nous verrons comme il s’en tirera.

  1. Rue de Lausanne où Voltaire avait une belle maison.
  2. Voyez la note, tome XX, page 62.