Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/257

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vous trouverez ci-joint un billet[1] qu’il m’a ordonné de vous remettre. Ce grand homme est toujours le même. Il soutient ses infortunes avec un courage et une fermeté dignes de lui. Il n’a pu transcrire la lettre qu’il vous écrivait. Elle commençait par des vers. Au lieu d’y jeter du sable, il a pris l’encrier, ce qui est cause qu’elle est coupée. Je suis dans un état affreux, et ne survivrai pas à la destruction de ma maison et de ma famille. C’est l’unique consolation qui me reste. Vous aurez de beaux sujets de tragédies à travailler. Ô temps ! ô mœurs ! Vous ferez peut-être verser des larmes par une représentation illusoire, tandis qu’on contemple d’un œil sec les malheurs de toute une maison contre laquelle, dans le fond, on n’a aucune plainte réelle.

Je ne puis vous en dire davantage ; mon âme est si troublée que je ne sais ce que je fais. Mais, quoi qu’il puisse arriver, soyez persuadé que je suis plus que jamais votre amie.


Wilhelmine.

3398. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Au Délices, 19 août.

Je commence, mon cher ange, par vous dire que Tronchin s’est trompé sur les eaux de Plombières, et que j’en suis très-aise. J’avais pris la liberté d’écrire à Mme d’Argental contre les eaux, et je me rétracte ; mais à l’égard des eaux d’Aix-la-Chapelle, je trouve que ce serait au duc de Cumberland à les prendre, et non pas au maréchal d’Étrées. Il vient de gagner une bataille ; il faut que M. de Richelieu en gagne deux, s’il veut qu’on lui pardonne d’avoir envoyé aux eaux un général heureux. À l’égard du roi de Prusse, l’affaire n’est pas finie, il s’en faut beaucoup. Il est encore maître absolu de la Saxe ; et si les Anglais envoient quinze mille hommes à Stade, l’armée de France peut se trouver dans une position embarrassante. Je me hâte de quitter cet article pour venir à celui de Fanime. Je vous avoue que je ne suis guère en train à présent de rapetasser une tragédie amoureuse, et que le czar Pierre a un peu la préférence. Comment voulez-vous que je résiste à sa fille ? Il ne s’agit pas ici de redire ce qui s’est passé aux batailles de Narva et de Pultava ; il s’agit de faire connaître un empire de deux mille lieues d’étendue, dont à peine on avait entendu parler il y a cinquante ans. Il me semble que ce n’est pas une entreprise désagréable de crayonner cette création nouvelle : c’est un beau spectacle de voir Pétersbourg naître au

  1. C’est probablement ce billet dont Voltaire cite une phrase dans le troisième alinéa de la lettre 3413.