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heureux par vous-même, et voilà ce que les philosophes ont au-dessus des rois. Mes compliments à l’autre consul, M. Diderot.


3384. — À M. LE MARQUIS D’ADHÉMAR.

Il n’est chère que de vilain, monsieur le grand-maître. Vous écrivez rarement ; mais aussi, quand vous vous y mettez, vous écrivez des lettres charmantes. Vous n’avez pas perdu le talent de faire de jolis vers ; les talents ne se rouillent point auprès de votre adorable princesse.


Pour moi, dans la retraite où la raison m’attire,
Je goûte en paix la Liberté.
Cette sage divinité,
Que tout mortel ou regrette ou désire,
Fait ici ma félicité.
Indépendant, heureux, au soin de l’abondance,
Et dans les bras de l’amitié,
Je ne puis regretter ni Berlin ni la France ;
Et je regarde avec pitié
Les traités frauduleux, la sourde inimitié,
Et les fureurs de la vengeance.
Mes vins, mes fruits, mes fleurs, ces campagnes, ces eaux,
Mes fertiles vergers, et mes riants berceaux ;
Trois fleuves[1], que de loin mon œil charmé contemple,
Mes pénates brillants, fermés aux envieux ;
Voilà mes rois, voilà mes dieux.
Je n’ai point d’autre cour, je n’ai point d’autre temple.
Loin des courtisans dangereux,
Loin des fanatiques affreux,
L’étude me soutient, la raison m’illumine ;
Je dis ce que je pense[2], et fais ce que je veux ;
Mais vous êtes bien plus heureux :
Vous vivez près de Wilhelmine.


Vous devez revoir incessamment un chambellan de Son Altesse royale, qui est presque aussi malade que moi, mais qui est presque aussi aimable que vous. J’ai eu quelquefois le bonheur de le posséder dans mon ermitage des Délices, où nous

  1. Le Rhône, l’Arve, et l’Aire, qui se jette dans l’Arve, au confluent de cette rivière et du Rhône.
  2. Fari quæ sentiat : devise de Voltaire empruntée à Horace.