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Saxe. On croit qu’enfin il succombera. Tous les chasseurs s’assemblent pour faire une Saint-Hubert à ses dépens. Français, Suédois, Russes, se mêlent aux Autrichiens ; quand on a tant d’ennemis, et tant d’efforts à soutenir, on ne peut succomber qu’avec gloire. C’est une nouveauté dans l’histoire que les plus grandes puissances de l’Europe aient été obligées de se liguer contre un marquis de Brandebourg ; mais avec cette gloire, il aura un grand malheur : c’est qu’il ne sera plaint de personne. Il ne savait pas, lorsque je le quittais[1] que mon sort serait préférable au sien. Je lui pardonne tout, hors la barbarie vandale dont on usa avec Mme Denis. Adieu, mon cher ami. V.


3380. — À MADAME DE FONTAINE,
à paris.
Aux Délices, 18 juillet.

Ma chère nièce, mille amitiés à vous et aux vôtres. Que faites-vous à présent ? Il y a un an que vous étiez bien malade à mes Délices, mais il paraît aujourd’hui que vous vous passez à merveille du docteur. Êtes-vous à Paris ? êtes-vous à la campagne ? allez-vous à Hornoi ? vous amusez-vous avec le philosophe[2] du grand conseil ? Votre fils n’a-t-il pas déjà six pieds de haut ? Mettez-moi au fait, je vous en prie, de votre petit royaume. Quant à celui de France, il me paraît qu’il fait grande chère et beau feu. Il jette l’argent par les fenêtres ; il emprunte à droite et à gauche, à sept, à huit pour cent ; il arme sur terre et sur mer. Tant de magnificence rend nos Normands de Genève circonspects ; ils ne veulent pas prêter à de si grands seigneurs ; et ils disent que le dernier emprunt de quarante millions n’étrenne pas.

Pour vous, monsieur le grand écuyer de Cyrus, je crois que vous avez montré la curiosité, la rareté de la tactique assyrienne et persane à un moderne qui se moque quelquefois du temps présent et du temps passé. Je m’imagine qu’à présent on croit n’avoir pas besoin de machines pour achever la ruine de Luc[3]. Mais quand j’écrivis au héros de Mahon qu’il fallait qu’il vît

  1. Le 20 mars 1753.
  2. L’abbé Mignot.
  3. Ce mot, qui désigne le roi de Prusse, n’est, dit-on, qu’un anagramme qui rappelle les goûts du monarque. Wagniére cependant dit que Voltaire donnait le nom de Luc à Frédéric, parce que ce monarque l’avait mordu comme un singe qui s’appelait Luc. (B.)