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très-joli séjour ; c’est dommage qu’il soit si éloigné de mon lac. Je me flatte que la santé de M. l’abbé du Resnel est raffermie, et que la vôtre n’a pas besoin de l’être. C’est là le point important, c’est le fondement de tout, et l’empire de la terre ne vaut pas un bon estomac. Je souffre ici bien moins qu’ailleurs, mais je digère presque aussi mal que si j’étais dans une cour : sans cela, je serais trop heureux ; mais Mme Denis digère, et cela suffit : vous m’avouerez qu’elle en est bien digne, après avoir quitté Paris pour moi.

Bonsoir, mon cher et ancien ami. J’ai toujours oublié de vous demander si les trois académies, dont Fontenelle était le doyen, ont assisté à son convoi. Si elles n’ont pas fait cet honneur aux lettres et à elles-mêmes, je les déclare barbares.


3357. — À M. THIERIOT,
ches madame la comtesse de montmorency,
à paris, rue vivienne[1].
Aux Délices, 20 mai 1757.

Vous noterez, s’il vous plaît, mon cher et ancien ami, et je vous confie tout doucement qu’il y a dans le pays que j’habite trois ou quatre personnes qui sont encore du xvie siècle. Elles ont été fâchées de voir dans le Mercure que tout le monde convenait, vers le lac Léman, que Calvin avait une âme atroce[2]. Ces gens-là disent qu’ils n’en conviennent point.

Je crois qu’on pourrait, pour satisfaire leur délicatesse, leur permettre même de penser que l’âme de Calvin était douce. La mienne est tranquille, et je ne veux point choquer d’honnêtes gens avec lesquels je vis en très-bonne intelligence. Vous me feriez plaisir de me mander qu’on a imprimé cette lettre sur une copie infidèle, comme sont toutes celles qu’on fait courir manuscrites ; que, dans celle que vous avez reçue de ma main, il y a âme trop austère et non pas âme atroce[3]. En effet, autant qu’il peut m’en souvenir, c’était là la véritable leçon. Cette petite attention de votre part ferait un très-grand plaisir à des personnes que je dois ménager, et je vous en serais très-obligé. La paix est, après la santé, le plus grand des biens.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François. — Thieriot, ayant perdu Mme de La Popelinière, avait trouvé une nouvelle protectrice.
  2. Voyez la lettre à Thieriot du 26 mars.
  3. Voyez les chapitres cxxxiii et cxxxiv de l’Essai sur les Mœurs.