Madame, la bonté de votre cœur vous fait regretter un ministre[2], et celle de votre esprit vous met en état de vous passer de tout ministre. Votre Altesse sérénissime saura conserver en paix ses États dans la guerre qui les environne. On dit que le Hanovre donne enfin l’exemple de la neutralité ; si cela est vrai, c’est une nouvelle bien importante. Je voudrais espérer, pour l’intérêt du genre humain, que cette neutralité pût acheminer à une bonne paix. Mais l’armée française, dans le pays de Clèves et dans Wesel, ne permet pas de douter qu’il n’y ait à présent d’autre chemin à la paix que celui de la guerre.
J’avoue que j’ai peine à voir la véritable raison pour laquelle le roi de Prusse a évacué une place telle que Wesel. Elle me parut, il y a quelques années, très-bien fortifiée : rien n’y manquait ; elle pouvait arrêter une armée au moins six semaines. A-t-il eu un besoin pressant de ses troupes qui gardaient cette place ? ou veut-il attirer les Français en Westphalie, et peut-être sous Magdebourg, pour leur livrer bataille avec avantage ? Je me garderai bien de vouloir rien deviner. Votre Altesse sérénissime pourrait m’éclairer, si elle daignait m’honorer de ses lumières ; mais jusque-là, je suis dans une entière obscurité.
On fait plus de libelles en vers et en prose contre le roi de Prusse qu’il n’y a de régiments qui marchent contre lui. Je me flatte qu’il ne me soupçonnera d’aucun de ces indignes ouvrages. Il m’a rendu toutes ses bontés ; il sait combien je le respecte ; et heureusement il a trop de goût pour m’imputer ces sottises, qui sont indignes d’un honnête homme, et même d’un écrivain médiocre.
Ce n’est point aux particuliers à se mêler des querelles des princes. La seule chose dont je me mêle, madame, est d’être attaché pour ma vie à Votre Altesse sérénissime et à toute votre auguste maison, avec le plus profond et le plus tendre respect.
Elle me permet de ne pas oublier la grande maîtresse des cœurs[3].