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3347. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Près de Lausanne, 6 avril.

Quand je sais quelque chose, madame, j’écris ; quand je ne sais rien, je me tais. Hors la maladie dont est mort monsieur[1] Damiens, il n’est rien parvenu à ma connaissance. Si vous savez quelques bagatelles du Rhin, de l’Elbe, du Niémen, ayez la bonté d’en faire part aux solitaires des Délices. Il faut regarder tous ces événements comme une tragédie que nous voyons d’une bonne loge où nous sommes très à notre aise. Restez longtemps dans la vôtre avec votre digne amie. Conservez-moi vos bontés, et priez toutes deux pour Marie[2].


3348. — À M. TRONCHIN, DE LYON[3].
Monrion, 7 avril.

Il paraît que la nation paye les taxes avec une répugnance que tous les parlements semblent favoriser. On est obligé d’envoyer des troupes à Besançon pour contenir les conseillers et les écoliers. Le parlement est plus effarouché que jamais. Les belles déclarations de Damiens qu’il n’avait d’autres complices que tous ceux dont il avait entendu les discours dans les salles du Palais, ses aveux qu’il n’avait eu en vue que de venger le parlement et le peuple, ne rapprocheront pas les esprits. On mande que le jour de l’exécution il y avait plus de troupes dans Paris que du temps de la Fronde. On ne parle que d’un mécontentement général, qui fait un triste contraste avec le nom de Bien-Aimé que cette nation avait si justement donné à son roi.

Feu Bernard, fils de Samuel Bernard, a fait en mourant banqueroute, comme son père l’avait faite adroitement de son vivant. J’y suis pour environ huit mille livres de rente. Il y a six ans que cette affaire dure : je pourrais en retirer quelque chose ; mais on me répond froidement que le parlement ne se mêle plus de rendre justice.

  1. Quand Louis XV parlait de Damiens, dit Mme du Hausset, il le désignait par ces mots : « le monsieur qui a voulu me tuer. » Damiens fut tiré à quatre chevaux, dans la soirée du 28 mars.
  2. Voyez la lettre 3278.
  3. Éditeurs, de Cayrol et François.