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J’ai une extrême curiosité de savoir si on envoie cent mille hommes[1] en Allemagne ; mais vous ne vous en souciez guère, et vous ne m’en direz rien. J’aimerais encore mieux que votre parlement se mît à rendre enfin la justice, et me fit payer de cinquante mille francs dont ce fat de Bernard[2], fils de Samuel Bernard, et fat de dix millions, m’a fait banqueroute en mourant. Adieu, mon divin ange ; jugez Damiens, et portez-vous bien.


3329. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[3].
À Monrion, près de Lausanne, 5 mars.

Madame, quoi ! Votre Altesse sérénisme a la bonté de s’excuser de ne m’avoir pas honoré assez tôt d’une de ses lettres ! Elle sent de quel prix elles sont pour moi. Mais est-il possible qu’elle daigne être occupée de mon attachement pour elle, et du respectueux, du tendre intérêt que je prends à sa prospérité, tandis qu’elle se trouve au milieu des alarmes publiques et particulières, entourée d’armées, et embarrassée peut-être entre le danger de prendre un parti et celui de n’en prendre aucun ? Sa sagesse et celle de monseigneur le duc me rassurent contre les craintes que m’inspire la situation violente de l’Allemagne ; il se peut même, madame, que vos États trouvent quelque avantage dans le besoin que les deux partis auront des denrées de votre territoire. Les princes sages et modérés gagnent quelquefois au malheur de leurs voisins.

Je n’ai point ici la lettre du roi de Prusse, elle est dans ma retraite, auprès de Genève. Je passe tous les hivers auprès de Lausanne, ne pouvant être assez heureux pour les passer à vos pieds, et ne pouvant quitter une nièce qui s’est sacrifiée pour moi, et qui a quelque raison de n’oser voyager en Allemagne.

J’ai perdu, madame, le correspondant[4] qui me fournissait les nouvelles dont je faisais part à Votre Altesse sérénissime ; il est parti avant l’armée que la France envoie en Allemagne. Puisse cette armée contribuer à établir un nouveau traité de Vestphalie, qui assure la paix et la liberté, le plus précieux de tous les biens ! Mais qui peut savoir ce qui résultera de tous ces grands mouvements ? On prétend que le roi de Pologne a contre

  1. On les envoya.
  2. Voyez tome XXXVIII, page 259.
  3. Éditeurs, Bavoux et François.
  4. Le comte d’Argenson, tombé en disgrâce.