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vertueux. Cette contradiction irrite ; mais c’est encore une de nos moindres sottises.

J’oublie avec plaisir dans ma retraite tous ceux qui travaillent à rendre les hommes malheureux ou à les abrutir, et plus j’oublie ces ennemis du genre humain, plus je me souviens de vous. Je vous exhorte à répandre, autant que vous le pourrez, dans l’Encyclopédie, la noble liberté de votre âme. On ne mettait point Cicéron dans le donjon de Vincennes[1] pour son livre de Natura deorum. Notre siècle est encore bien barbare. Vale et scribe. Tuus V.


3326. — À M. LE COMTE DE BESTUCHEFF[2].
À Monrion, février.

Monsieur, j’ai reçu une lettre que j’ai crue d’abord écrite à Versailles ou dans notre Académie, et c’est vous, monsieur, qui me faites l’honneur de me l’adresser. Vous me proposez ce que je désirais depuis trente ans ; je ne pouvais mieux finir ma carrière qu’en consacrant mes derniers travaux et mes derniers jours à un tel ouvrage.

Je ferais le voyage de Pétersbourg si ma santé pouvait le permettre ; mais, dans l’état où je suis, je vois que je serai réduit à attendre dans ma retraite les matériaux que vous voulez bien me promettre.

Voici quel serait mon plan. Je commencerais par une description de l’état florissant où est aujourd’hui l’empire de Russie, de ce qui rend Pétersbourg recommandable aux étrangers, des changements faits à Moscou, des armées de l’empire, du commerce, des arts, et de tout ce qui a rendu le gouvernement respectable.

Ensuite je dirais que tout cela est d’une création nouvelle, et j’entrerais en matière par faire connaître le créateur de tous ces prodiges. Mon dessein serait de donner ensuite une idée précise de tout ce que l’empereur Pierre le Grand a fait depuis son avènement à l’empire, année par année.

Si M. le comte de Schouvalow a la bonté, monsieur, comme vous m’en flattez, de me faire parvenir des mémoires sur ces deux objets, c’est-à-dire sur l’état présent de l’empire et sur tout

  1. Allusion à l’emprisonnement de Diderot.
  2. Michel, comte de Bestuchoff-Riumin, né vers 1686, ambassadeur de l’impératrice Élisabeth à Paris de 1756 à 1760, année où mourut ce diplomate. (Cl.)