Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
3293. — À M. D’ALEMBERT.
À Monrion, 16 janvier.

Je vous envoie, mon cher maître, l’article Imagination, comme un boiteux qui a perdu sa jambe la sent encore un peu. Je vous demande en grâce de me dire ce que c’est qu’un livre contre ces pauvres déistes, intitulé la Religion vengée[1], et dédié à monseigneur le dauphin, dont le premier tome paraît déjà, et dont les autres suivront de mois en mois, pour mieux frapper le public.

Savez-vous quel est ce mauvais citoyen qui veut faire accroire à monsieur le dauphin que le royaume est plein d’ennemis de la religion ? Il ne dira pas au moins que Pierre[2] Damiens, François Ravaillac, et ses prédécesseurs, étaient des déistes, des philosophes. Pierre Damiens avait dans sa poche un très-joli petit Testament[3] de Mons. Je crois l’auteur parent de Pierre Damiens.

Mandez-moi le nom du coquin, je vous prie, et le succès de son pieux libelle. Votre France est pleine de monstres de toute espèce. Pourquoi faut-il que les fanatiques s’épaulent tous les uns les autres, et que les philosophes soient désunis et dispersés ! Réunissez le petit troupeau ; courage. J’ai bien peur que Pierre Damiens ne nuise beaucoup à la philosophie.

Mme Denis et le solitaire Voltaire vous embrassent tendrement.


3294. — À MADAME DE FONTAINE,
à paris.
À Monrion, 16 janvier,

Ceci est pour ma nièce, ma compagne en maladies ; pour mon neveu le juge et le prédicateur, pour mon petit-neveu, pour M. de Florian, que j’embrasse tous du meilleur de mon cœur. Nous sommes un peu malades, Mme Denis et moi, à Monrion.

  1. La Religion vengée, ou Réfutation des auteurs impies, par une société de gens de lettres (Soret, le père Hayer, etc.), t. I, 1757, in-12. Il en a paru, depuis, vingt autres volumes.
  2. Robert-François étaient les seuls prénoms de l’assassin insensé de Louis XV.
  3. Voltaire veut donner à entendre que Damiens était l’instrument des jansénistes, en supposant qu’il était porteur du N. T. de Mons, dont voici le titre : Nouveau Testament traduit sur la Vulgate, avec les différences du grec, Mons, Migeot (Amsterdam, Elzevier), 1667, deux volumes in-12, que le pèe Colonia a compris dans sa Bibliothèque janséniste. Le livre trouvé sur Damiens était intitulé Instruction chrétienne. (B.)