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trouve faux ; mais ce qui est vrai, c’est que Erfurt devait appartenir à votre auguste maison.

Je ne fais point de réflexions, je fais des vœux, et tous mes vœux sont pour le bonheur d’une princesse dont je regrette la présence tous les jours de ma vie, dont les éloges sont sans cesse dans la bouche de tous ceux qui ont approché d’elle, et dont mon cœur sera toujours le sujet. Ah ! si je pouvais quitter une famille qui a tout quitté pour moi, je sais bien où j’irais porter mon profond respect.


3285. — DE M. LE COMTE D’ARGENSON[1].
6 janvier, à Versailles.

Hier au soir, sur les six heures un quart, le roi quitte monsieur le dauphin et madame la dauphine pour monter en carrosse et se rendre à Trianon. Au moment qu’il met un pied sur le marchepied et qu’il se retourne un peu de côté, en disant : « Un tel est-il là ? » un homme de cinq pieds six pouces pousse un des cent-suisses, s’avance, et par derrière donne un grand coup d’un instrument pointu au roi. Le roi se retourne : « Voilà un homme qui vient de me donner un furieux coup de poing. » Il porte alors la main sur la partie, et la voit tout humide de sang. « Je suis blessé, dit-il. Voilà le coquin qui a fait le coup : qu’on l’arrête ; mais qu’on ne lui fasse cependant point de mal. » En disant ces mots, il se rend dans sa chambre sans être soutenu, avec sang-froid et tranquillité, pour savoir ce que c’était que cette blessure.

Sur les discours du roi, M. de Verzeil, exempt des gardes du corps, l’arrête et lui dit ; « C’est toi, misérable, qui viens de blesser le roi ? — Oui, répond-il, c’est moi-même. » On le fouille, on lui trouve dans la poche un méchant morceau de bois, armé d’une pointe de fer, en forme de canif, de la longueur d’un pouce et demi, large de deux lignes, trente louis dans la poche, une Bible, pas un seul papier. Il était vêtu d’un méchant habit gris » veste rouge, culotte de panne, et avait le chapeau sur la tête. On a mis l’homme nu comme la main sans trouver sur lui d’autre renseignement. On a songé à lui attacher les mains ; dès qu’il a aperçu ce dessein : « Il ne faut pas de force, dit-il ; tenez, les voilà, » en les croisant derrière son dos. On l’a mené en prison, les fers aux pieds et aux mains.

Monsieur le garde des sceaux et monsieur le chancelier sont venus l’interroger. Ils lui ont demandé les raisons de son assassinat. Il a répondu que c’était son affaire, mais qu’il n’y aurait pas songé si on eût pendu quatre ou cinq évêques qui le méritaient. On lui a demandé si son arme était empoisonnée ; il a répondu qu’il n’y avait pas pensé seulement, et cela sur son âme. Il avait dans sa poche un Nouveau Testament in-12, d’une jolie édi-

  1. Éditeurs, Bavoux ot François.