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se bat au milieu des neiges. On me mande de Vienne qu’on y a une crainte de ces Prussiens, très-indécente. Je voudrais vous voir conduire contre eux gaiement des Français de bonne volonté, et voir ce que peut sous vos ordres la furia francese contre le pas de mesure et la grave discipline ; mais je craindrais que quelque balle vandale n’allât déranger l’estomac du plus aimable homme de l’Europe.

Je vous écris, monseigneur, dès que j’ai quelque chose à vous mander. Alors mon cœur et ma plume vont vite. Mais quand je ne vois que mes arbres et mes paperasses, que voulez-vous que le Suisse vous mande ? Mes paroles oiseuses auraient-elles beau jeu au milieu de toutes vos occupations, de tous vos devoirs, des tracasseries parlementaires et épiscopales, et de la crise de l’Europe ? Vous voilà-t-il pas bien amusé, quand je vous souhaiterai cinquante années heureuses, quand je vous dirai que la Suissesse Denis et le Suisse Voltaire vous adorent ? Vous avez bien affaire de nos sornettes ! Conservez-moi vos bontés, et agréez mon très-tendre respect.


3284. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Aux Délices, près de Genève, 4 janvier.

Madame, Votre Altesse sérénissime a peut-être reçu, ou du moins recevra bientôt, un Essai sur l’Histoire générale, depuis Charlemagne jusqu’à nos jours. Je mets à ses pieds le premier exemplaire. Il n’a pas une belle couverture, mais j’aurais attendu trop longtemps à vous rendre mon hommage. Il se passe actuellement, madame, des choses qui nous paraissent bien étonnantes, bien funestes ; mais si on lit les événements des autres siècles, on y voit encore de plus grandes calamités. Tous les temps ont été marqués par des malheurs publics. L’ambition a toujours bouleversé la terre, et deux ou trois personnes ont toujours fait le malheur de deux ou trois cent mille.

La relation dont Votre Altesse sérénissime daigne me parler dans sa dernière lettre n’était point dans son paquet ; mais je présume que c’est la même qui se vend publiquement dans notre Suisse. Toutes les pièces de ce grand procès s’impriment ici ; mais qui jugera ce procès ? La fortune probablement. Cette fortune dépend beaucoup des baïonnettes et de la discipline militaire. On disait que les Prussiens s’emparaient d’Erfurt : ce bruit se

  1. Éditeurs, Bavoux et François.