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glacer dans mes Alpes ? Cette infâme édition que La Beaumelle et d’Arnaud avaient, dit-on, faite de concert, n’a que trop de cours. Je vois les personnes à qui je suis le plus attaché, attaquées indignement sous mon nom. Mme de Pompadour y est outragée d’une manière infâme : et comment encore se justifier de ces horreurs ? comment écrire à Mme de Pompadour une lettre qui ferait rougir et celui qui l’écrirait et celle qui la recevrait ? On parle aussi de vers sanglants contre le roi de Prusse, que la même malignité m’impute[1]. Je vous avoue que je succombe sous tant de coups redoublés. Le corps ne s’en porte pas mieux, et l’esprit se flétrit par la douleur. S’il me restait quelque génie, pourrais-je mettre à travailler un temps qu’il faut employer continuellement à détruire l’imposture ? Je n’ai plus ni santé, ni consolation, ni espérance ; et je n’éprouve, au bout de ma carrière, que le repentir d’avoir consacré aux belles-lettres une vie qu’elles ont rendue malheureuse. Si je m’étais contenté de les aimer en secret, si j’avais toujours vécu avec vous, j’aurais été heureux ; mais je me suis livré au public, et je suis loin de vous : cela est horrible.


3265. — À M. PIERRE ROUSSEAU,
à liège.
Aux Délices, 28 novembre.

J’ai vu dans votre journal de novembre, monsieur, des vers qu’on m’attribue ; ils commencent ainsi :


C’est par ces vers, enfants de mon loisir,
Que j’égayais les soucis du vieil âge ;
Ô don du ciel, etc.[2].


Sans examiner si ces vers sont bons ou mauvais, je peux vous jurer, monsieur, que non-seulement je n’en suis pas l’auteur, mais que je regarderais comme une démence bien condamnable à mon âge des plaisanteries qui ont pu m’amuser il y a trente ans. Ceux qui achèvent ainsi sous mon nom des ouvrages si peu décents sont assurément plus coupables que je ne le serais d’en faire mon occupation. Je ne me reconnais dans aucune des éditions qui ont paru du petit poème dont vous me parlez. J’ai en-

  1. Voyez la lettre 3256.
  2. Ces vers sont l’épilogue de l’édition de 1756 ; ils sont maintenant placés avec les variantes du XXIe chant.