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J’espère que vous verrez bientôt Mme de Fontaine, qui a été sur le point de mourir aux Délices pour avoir abusé de la santé que Tronchin lui avait rendue, et pour avoir été gourmande. M. le marécbal de Richelieu me mande que ce qui paraît faisable à votre amitié et à la bonté de votre cœur ne l’est guère à la prévention. Je m’en suis toujours douté, et je crois connaître le terrain. Il faut que votre archevêque reste à Conflans, et moi aux Délices ; chacun doit remplir sa vocation. La mienne sera de vous aimer, et de vous regretter jusqu’à mon dernier moment.

On me mande qu’il y a une édition infâme de la Pucelle[1], que cet honnête homme de La Beaumelle avait fait imprimer, et qu’on débite dans Paris ; mais heureusement les mandements font plus de bruit que les Pucelles.

Vous ne m’avez jamais parlé de l’état de M. de La Marche. Je voulais qu’il vînt se mettre entre les mains de Tronchin, mais on dit qu’il est dans un état à ne se mettre entre les mains de personne. Ô pauvre nature humaine ! à quoi tiennent nos cervelles, notre vie, notre bonheur ! Portez-vous bien, vous, Mme d’Argental, et tous les anges ; et conservez-moi une amitié qui embellit mes Délices, qui me console de tout, et qui seule peut me rendre quelque génie.


3254. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[2].
Aux Délices, près de Genève, 2 novembre.

Madame, Votre Altesse sérénissime daigne m’envoyer le détail des malheurs qui environnent vos frontières. Ils ne pénètrent point jusqu’à vos États, et c’est une grande consolation. Qui sait même si la fortune, qui change si souvent la face de la terre, ne pourrait pas amener les choses au point que la branche aînée[3] reprît les droits dont Charles-Quint l’a dépouillée autrefois ? Je ne souhaite de mal à personne ; mais il m’est permis de souhaiter du bien à l’héroïne à laquelle je suis si attaché. Mais, probablement, tout se bornera à du sang répandu dans les gorges de la Bohême, et à de l’argent pris dans la Saxe. On dit que les Saxons payent au soldat prussien sept groschen par jour et un richdaller à chaque officier. Il faut fournir encore toutes les provisions, qui sont immenses ; et, quelque ordre que le roi de Prusse mette

  1. Il est douteux que La Beaumelle ait été l’éditeur de la Pucelle. (B.)
  2. Éditeurs, Bavoux et François.
  3. De Saxe.