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3250. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Aux Délices, 25 octobre.

J’ai toujours mon rhumatisme, madame, et, de plus, j’ai été mordu par mon singe le jour de la nouvelle, vraie ou fausse, de la défaite de votre armée. Je suis au lit comme un des blessés. Pardonnez-moi de ne vous pas écrire de ma main. Je me porterai certainement mieux quand vous m’apprendrez que vos amis les serviteurs de Marie ont fait un petit tour vers Berlin. Nous nous flattons au moins que le roi de Pologne est hors de danger et hors de chez lui. Il est bien triste que ce qui pût lui arriver de mieux fût de sortir de ses États. Il y a des gens qui prétendent qu’il va en Pologne armer la Pospolite[1] en sa faveur ; mais la Pospolite fait rarement des efforts pour ses souverains, et leur fournit aussi peu de troupes que d’argent. Si vous avez quelques nouvelles, madame, daignez en faire part aux solitaires des Délices. Vous savez que les bords du Rhin sont plus près du théâtre des événements que les paisibles bords de notre lac ; nous ne sommes encore bien informés d’aucun détail. Cela est triste pour ceux qui s’intéressent à Marie, et assurément, personne ne lui est plus attaché que moi depuis trois ans[2]. Mais je vous le suis bien davantage, madame, et depuis plus longtemps. Mille tendres respects aux deux dignes amies.


3251. — À M. TRONCHIN, DE LYON[3].
Délices, 30 octobre.

Ce qu’on dit du désastre du roi de Pologne commence à me faire croire que le Salomon du Nord finira par avoir raison. On prétend qu’il a dit : « J’ai un projet ; s’il réussit, je suis le maître de l’Europe ; sinon, je m’en … » Et moi aussi, et j’aime mieux ma solitude que toutes les cours. Laissons les héros s’égorger et vivons tranquilles. J’ai chez moi M. le duc de Villars, que j’ai engagé à venir consulter le docteur pour une sciatique, et il se

  1. Réunion générale de la noblesse polonaise pour aller à la guerre ; mais son service n’était pas obligatoire plus de six semaines, ni à plus de quatre lieues hors des frontières. (B.)
  2. C’est-à-dire depuis le mois de juin 1753, époque où Voltaire, opprimé à Francfort, n’avait pas inutilement imploré la protection de la cour de Vienne. (Cl.)
  3. Éditeurs, de Cayrol et François.