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Vous avez bien raison de détester le style d’un polisson[1] qui veut faire le plaisant, et parler en homme de cour des princes et des femmes dont il n’a jamais vu l’antichambre. Il y a encore une raison de mépriser son livre : c’est que, d’un bout à autre, il contient un tissu de mensonges ou de contes trainés dans les rues. Il est très-bien à la Bastille, pour quelques impostures punissables ; notre chère Marie-Thérèse y est pour quelque chose[2]. Si Marie-Thérèse est victorieuse, comme je l’espère, et si je suis en vie, ce que je n’espère guère, vous pourriez bien encore revoir à l’île Jard votre ancien courtisan, qui vous sera attaché jusqu’au dernier soupir de sa vie. Mille respects à votre digne amie.


3243. — À M. D’ALEMBERT.
Aux Délices, 9 octobre.

Nous avons été sur le point, mon cher philosophe universel de savoir, Mme de Fontaine et moi, ce que devient l’âme quand son confrère est passé. Nous espérons rester encore quelque temps dans notre ignorance. Toutes nos petites Délices vous font les plus tendres compliments. Les ridicules de Conflans[3] et l’aventure de Pirna[4] feront une assez bonne figure un jour dans l’histoire ; mais ce n’est pas là mon affaire. Dieu m’en préserve ! Je suis assez embarrassé du passé sans me mêler encore du présent. Si vous avez quelques articles de l’Encyclopédie à me donner, ayez la bonté de vous y prendre un peu à l’avance. Un malade n’est pas toujours le maître de ses moments. Je tâcherai de vous servir mieux que je n’ai fait. Je suis bien mécontent de l’article Histoire. J’avais envie de faire voir quel est le style convenable à une histoire générale, celui que demande une histoire particulière celui que des mémoires exigent. J’aurais voulu faire voir combien Thoiras l’emporte sur Daniel, et Clarendon sur le cardinal de Retz. Il eût été utile de montrer qu’il n’est pas permis à un compilateur[5] des mémoires des autres de s’exprimer comme un contemporain ; que celui qui ne donne les faits que de la

  1. La Beaumelle
  2. Dans ses Mémoires de Mme de Maintenon (livre XIII, chap. 1er), La Beaumelle dit que la cour de Vienne était soupçonnée de réparer par ses empoisonneurs les fautes de ses ministres. (B.)
  3. Vovez tome XV, paçe 383 ; et XVI, 88.
  4. Pirna, longtemps bloquée par les Prussien., se rendit à la fin de la campagne de 1756.
  5. Allusion aux Mémoires compilés par La Beaumelle.