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Le roi de Prusse est plus expéditif que moi. Il se propose de tout finir au mois d’octobre, de forcer l’auguste Marie-Thérèse de retirer ses troupes, de faire signe à l’autocratrice de toutes les Russies de ne pas faire avancer ses Russes, et de retourner faire jouer à Berlin un opéra[1] qu’il a déjà commencé. Ses soldats, en ce cas, reviendront gros et gras de la Saxe, où ils ont bu et mangé comme des affamés.

Mon cher ange, quelle est donc votre idée avec le vainqueur de Mahon ? Il faut d’abord que ces frères Cramer impriment les sottises de l’univers en sept volumes ; et ces sottises pourront encore scandaliser bien des sots. Il faut, en attendant, que je reste dans ma très-jolie, très-paisible, et très-libre retraite. M. le comte de Gramont[2], qui est ici à la suite de Tronchin, disait hier, en voyant ma terrasse, mes jardins, mes entours, qu’il ne concevait pas comment on en pouvait sortir. Je n’en sortirais, mon divin ange, que pour venir passer quelques mois d’hiver auprès de vous. Je n’ai pas un pouce de terre en France ; j’ai fait des dépenses immenses à mes ermitages sur les bords de mon lac ; je suis dans un âge et d’une santé à ne me plus transplanter. Je vous répète que je ne regrette que vous, mon cher et respectable ami. Les deux nièces vous font les plus tendres compliments,


3240. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 1er octobre.

Mon très-aimable ange, tout mon temps se partage entre les douleurs de Mme de Fontaine et les miennes. Je n’en ai pas pour rendre notre Africaine digne de vos bontés. Songez que,


pour ce changement
Vous ne donnez qu’un jour, qu’une heure, qu’un moment[3] !


Il me faut une année. Vous briseriez le roseau fêlé, si vous donniez actuellement un ouvrage si imparfait. Le succès des magots de la Chine est encore une raison pour ne rien hasarder de médiocre. Promettez à Mlle Clairon pour l’année prochaine, et soyez sûr, mon cher ange, que je tiendrai votre parole. Je ne sais si

  1. Celui de Mérope.
  2. Nommé brigadier des armées du roi en 1747.
  3. Racine, Andromaque, acte IV, scènç iii.